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CHRONIQUES DE L’AMITIE – Par Rédouane Taouil
Tableau de Abdellah Hariri – Sans titre - « L’éphémère existence passe / Comme l’eau de la rivière / Comme le vent sur la plaine » (Omar Al Khayyâm)
“Notre amitié est le nuage blanc préféré du soleil”. Tu fais tien cet adage de René Char parce que fidèle jusqu’aux bords des larmes.
C’est sous le signe du philosophe de l’amitié, Abû Hayyân al-Tawḥîdî, que se placent ces chroniques pour évoquer des vers, des chansons ou des aphorismes chers à des amis dont le souvenir de leur contiguïté adoucit à coup sûr la résidence sur terre. Le cours de la vie doit beaucoup à ces féaux des conversations (Al-Muqâbasât) qui donnent à aimer l’étonnement d’être, par leurs aperçus et trésors (Baṣâ'ir wa-l-dhakhâ'ir), leurs examens et brèves réponses (Al-Hawâmil wa-l-shawâmil) sur le traité de la vie (Risâlat al-ḥayâh).
LA PAROLE MISERICORDIEUSE DU COEUR
Hommage à Abderrahmane Rouissi
Dans les midis aux éclats de rose ou dans la frémissante véhémence des soirs, tu célèbres toujours l’enfance. Compagnon de plume sergent major, tu fêtes la promesse violette de l’encrier et les songes buissonniers sur les terrains vagues, à l’ombre fluette des bosquets ou dans les sentiers printaniers.
Dans l’étreinte des rencontres, tu évoques avec une élégance sobre et grisante la saveur des goûters partagés, la patience discrète de nos mères, notre part enchanteresse du souffle de l’océan, les joies pures et les amitiés scellées sur les tables d’écoliers. Tu étanches ton amour inextinguible de la langue en citant, le regard mauve, une règle de grammaire, un verbe, une expression inspirée ou la récitation de « la biche brame au clair de lune ».
“Notre amitié est le nuage blanc préféré du soleil”. Tu fais tien cet adage de René Char parce que fidèle jusqu’aux bords des larmes. Tu communies avec les soucis d’autrui. Tu ris d’un rire auroral. D’éloges, tu couvres tes amis. Loin du ressentiment, tout près d’une scintillante clarté. Chaque rencontre point, avec toi, comme un fruit rêvé. Ami épris de l’amitié, « le temps ne porte pas, tu le sais, ton nom ». Les boucles de l’aimante fleurent la sentence rugueuse d’Omar Khayyam :
« L’éphémère existence passe
Comme l’eau de la rivière
Comme le vent sur la plaine »
Les délices sont source de brisures et la douleur de vives lueurs. L’espérance est pénombre et le désespoir une lanterne. Une plaie dormeuse en panse une autre orgueilleuse. La sourate, « Le Miséricordieux », retentit dans les vers d’Ocatvio Paz qui s’élèvent radieux :
« Entre les pétales d’argile
Naît souriante
La fleur humaine »
Nous sommes de futurs pots pétris des rêves de l’enfance et des fiançailles graciles de la rose. Pendant que la mort déambule sur la pointe des pieds, tu te tiens, comme toujours, sur une cime. Le couturier du monde t’a appelé près de lui dans ta terre enfantine. Au seuil de ta demeure, le blé odorant et le feu des brindilles, accueillants comme ta voix chaleureuse, désaltèrent nos mémoires. Du cœur de ta demeure se hissent en essaims des sanglots qui résonnent dans nos entrailles comme des flots de tristesse commune. La vigne forme son vœu ensoleillé. Les feuilles des figuiers resplendissent de versets lactés. La rivière rêve, dans son lit de buissons, d’une nuée prochaine et la graine d’une rosée nocturne dans son futur épi. Sur les palmiers nains bruit le soupir quiet des tombes que hèle le battement d’ailes azuré des hirondelles. Un chardonneret commémore nos étonnements et tourments. En deuil, le soleil, à l’orée du crépuscule, est immobile comme une orange qui réverbère nos yeux empourprés par la pudeur des pleurs.