La compassion est la passion des passifs, pour ne pas dire des faibles, les plus forts, ou les plus actifs, ont une autre passion, celle d?agir pour changer les choses et les faire avancer.Pour que la compassion s?accomplisse et s?av?re utile, elle devrait se munir d?action?;?l?affaire Dreyfus?et?l?affaire Calas?n?auraient jamais abouti si elles n?avaient ?t? engag?es, par?Zola?etVoltaire,?respectivement. Il existe des compassions actives comme il en existe d?autres, passives.Une compassion active est engag?e, elle se charge d?actions utiles et se d?charge de souffrances inutiles?; c?est le sens que lui donne, entre autres, Zhang Xianliang :???la compassion fait agir alors que la faiblesse rend craintif??.?Relevons ici la forme factitive?du verbe :??fait agir??et non??agit?,?pour signaler la passivit? de son ?tat initial.?La compassion d?gaine mais ne tire pas, faute de munitions, ses actions.

Le vrai poids d?un homme, dans la balance du monde, est celui de sa bont?, de son utilit?, de sa serviabilit? et de son partage. Le concept de l?utilit? et de l?altruisme, sans lesquels aucune humanit? ni religion ne peut survivre, est universel, dynamique et sans bornes. Agir pour aider un d?muni, pour plaider une bonne cause, sans juger ni la vie, ni les gens, ni le temps, ni l?espace, ni leur Cr?ateur, voil? une le?on que ne d?mentirait ni l?Islam, o? le serviteur est seigneur et vice versa, ni aucune autre religion monoth?iste, comme le dit, si sagement,?le proph?te, Paix et Salut sur lui?:???le meilleur parmi vous, est le meilleur pour les siens??, ou encore dans un autre hadith,???le meilleur parmi vous, est le plus utile pour les gens???(tous et pas uniquement?les musulmans?!).

Compassionner est digne d?une grande ?me qui???est au-dessus de l?injure, de l?injustice, de la douleur, de la moquerie?; et elle serait invuln?rable si elle ne souffrait par la compassion??,nous enseigne?Jean De La Bruy?re. C?est l?accessibilit? du sentiment et du c?ur qui cr?e, par l??galit? dans la souffrance, des liens ind?fectibles entre les ?tres, toutes races, toutes langues, toutes religions confondues. Compatir avec les malheurs de l?autre, c?est partager sa souffrance, c?est se sentir son ?gal et ressentir sa faiblesse, cette faiblesse g?n?rale et commune ? tous.

Mais voil? que souvent, compassion est confondue avec utilit?, alors qu?elle est vaine et inutile dans la plupart des cas, surtout quand elle est d?nu?e d?actes, la soutenant et l?accomplissant.?A quoi servirait un sentiment sans suite ou une compassion tue et gard?e pour soi, en dehors de l?apitoiement ressenti, de l?affliction convenue et des lamentations complaisantes??Partager la peine de l?autre ne co?te rien finalement, il s?agit notamment, moyennant des j?r?miades, de le r?conforter afin de se sentir utile et bienveillant, tout en remerciant Dieu, en catimini, de ne pas ?tre ? sa place, de ne pas avoir subi le m?me sort.

En effet, la compassion ne nous engage ? rien mais nous sert de bouclier sentimental, nous persuadant de notre grandeur, de notre noblesse et de notre g?n?rosit?. On se sent meilleur et plus libre apr?s des dol?ances et des r?criminations. Notre compassion avec les palestiniens, en l?occurrence, ne change rien ? leur destin?e depuis presque cent ans mais elle soulage l?acuit? de nos crises de conscience et adoucit notre culpabilit? lancinante. Les ???a me d?chire? et ???a me fend le c?ur?? n?ont jamais ni tu? personne, ni emp?ch? personne de dormir. Et pour cause, ce qui ne co?te rien (m?me pas un sentiment vrai), ne rapporte rien et ne sert ? rien.

En r?alit?, ceux qui ?chouent et p?rissent autour de nous, renforcent notre sentiment de s?curit? et de confiance, nous persuadent de notre r?ussite et de notre savoir-faire, et nous dissuadent des fois, par les complaintes chant?es et les larmes vers?es, de les jalouser ou de les envier, c?est ce que?Nietzsche, qui n??tait pas le seul philosophe ? refuser la compassion et qui s?insurgeait contre la piti? avec sa composante de complaisance et sa connotation de condescendance, note dans sa sentence?:???le fourreau dor? de la compassion cache parfois le poignard de l?envie??. De fait, c??tait le cas des Sto?ciens, aussi, qui pr?naient la ma?trise de soi, apathie devant les pires douleurs, de Kant et de Montaigne, de rejeter la compassion, au nom d?une philosophie rationaliste et vitaliste, de la d?termination du vouloir et du primat de l?esprit et du raisonnement.

La compassion est la th?orie du moindre effort, l?action n?cessitant un effort plus consistant, plus ?labor?, plus juste. Elle nous persuade de notre compr?hension des tribulations et de notre indulgence envers les autres, de leur vuln?rabilit? et de notre invuln?rabilit?, voire de notre sup?riorit?. Et c?est l? qu?elle rejoint?la piti??dont elle diff?re, pourtant, puisque celle-ci ne s??prouve pas d??gal ? ?gal mais plut?t, comme?Andr? Comte-Sponville?l?affirme,?? de haut en bas. La compassion, au contraire, est un sentiment horizontal?: elle n?a de sens qu?entre ?gaux ?.??

Pleurer sur le sort de quelqu?un, si sinc?re soit la d?ploration, apaise notre sentiment de culpabilit? et le soulage, consacre notre impuissance et notre inaction face au mal, accentue notre recul et notre d?sistement.?Dans ce bas monde, il existe un seul et unique reproche, l?indiff?rence ? la mis?re d?autrui. Et la compassion qui nous dispense d?agir, est semblable ? l?indiff?rence car,?inefficace et inf?conde. A c?t? de la?commis?ration, ce sentiment certes noble, on devrait ressentir de l?horreur face ? l??pouvantable r?alit?, de l?effroi qui puisse nous aiguillonner pour soutenir une id?e, nous pousser ? prot?ger les d?munis et les opprim?s, et nous inciter, pour d?fendre la veuve et l?orphelin, ? partir en croisade contre le mal.

En fait,?la compassion n?est que l?esquisse d?un sentiment p?renne qui se dissipe rapidement?; elle n?est que le d?but du chemin alors que l?engagement, de par son action, sa durabilit?, sa g?n?ralit?, en assure la continuit? et l?efficacit?.?L?engagement est l?effort continu qui fait aboutir la tristesse et la r?volte.?La compassion qui est plus personnelle, plus relative, est plus fugace, moins tenace, moins exigeante car, d?pourvue de d?marches pratiques et r?elles l??tayant, la jalonnant et la couronnant. La compassion n?est que le commencement du changement, sa continuit? exige l?action, l?endurance et le militantisme. ?

Il est vrai que?la compassion est un mouvement de l??me, un langage humain, impulsif et naturel, qu?on ne peut que saluer, mais il devrait se traduire en gestes plus loquaces, s?interpr?ter en actions plus pratiques, afin de drainer de r?els changements.?Il peut, en outre, refl?ter la peur pour soi et le soulagement d??tre ?pargn? par le sort. Mais?si nos actes se conformaient et se pliaient ? nos compassions, le monde aurait, depuis longtemps, chang?.

L?engagement, ce mouvement, issu ? la fois, du c?ur et de l?esprit, est de ce fait-m?me, mieux cibl?, mieux organis?, moins veule, moins emport?, moins changeant, moins passif, plus courageux, plus calme, plus raisonnable, plus r?fl?chi, plus assidu, plus fr?quent, plus patient, plus r?sistant, plus r?el, plus f?cond, plus authentique, plus g?n?reux, plus honorable que la compassion gratuite, et partant, plus fid?le ? la v?rit? et ? l?humanit? et plus proche de leur r?alisation et de leur accomplissement.

Loin de l?utilitarisme ou de l?humanitarisme, ce qu?on peut reprocher ? la compassion, cette pr?disposition ? la perception et ? la reconnaissance des douleurs d?autrui, est son manque d?aide et de soutien palpable parce qu?elle n?entra?ne, souvent, qu?une r?action ?motionnelle et affective, sans r?elle utilit? sociale, ?conomique ou politique. La loi de la non-assistance ? personne en danger, qui existe dans de nombreux pays, constitue une forme la?que, mais empirique, de la compassion, toujours associ?e, ? tort, ? la religion et ? la philosophie, ou ? lasolidarit??qui est un lien social d?engagement et de d?pendance r?ciproque entre personnes ressentant la moralit? de s?assister les uns les autres, mais avec souvent, sinon calcul, du moins attente d??change et de r?ciprocit?.

Ceci dit,?il est des compassions compass?es?et d?autres qui le sont moins, mais qui devraient, plut?t, l??tre. En effet, d?une part et c?est le premier sens,?beaucoup de complaisances se d?guisent en compassions et glissent vers l?hypocrisie. Empes?es, contraintes, guind?es et affect?es, elles n?ont rien de libre ni de spontan?, elles n?acquiescent ? complaindre que pour complaire et satisfaire l?autre. D?autre part et c?est le deuxi?me sens,?on devrait compasser sa compassion pour qu?elle ne se retourne pas contre soi, c'est-?-dire, l??tudier, la mesurer et la peser de crainte qu?elle ne se mue en?empathie.

Aussi, faut-il faire une distinction entre l?empathie et la compassion, qui est diff?rente de lasympathie, de l?altruisme?ou de la?contagion ?motionnelle?qui peuvent en d?couler, et qui rel?vent de?l??tique de r?ciprocit?, cette r?gle morale dont le principe fondamental, est de traiter les autres comme on voudrait ?tre trait?. Dans l??tude des relations interindividuelles, l?empathie d?signe la compr?hension des sentiments et des ?motions de l?autre, ce qui veut dire en langage commun, se mettre ? sa place, autrement dit,?l?intensit? de la compassion peut aller de l?anodin n?gligeable ? l?atroce insupportable. Elle se produit par un d?centrement de l?individu et peut mener, par son intensit? envers la personne r?ceptrice, ? des actions au d?triment des int?r?ts de la personne ?mettrice.

La compassion est une commune passion mais la militance est une r?sistance sans commune mesure avec elle, c?est un engagement ? haute fr?quence qui allie la compr?hension et le pardon ? la volont? d?agir et au d?sir de changer, et qui ma?trise autant sa col?re contre le bourreau que sa piti? pour la victime.?Une compassion sans action est une compassion non d?velopp?e?; La compassion, seule, ne peut r?soudre les probl?mes ni y rem?dier, puisqu?elle ne constitue qu?une infime partie de l?amour, en t?moigne, en partie, la parole de?Khalil Gibran?: ??celui qui par quelque alchimie, sait extraire de son c?ur, pour les refondre ensemble, compassion, respect, besoin, patience, regret, surprise et pardon cr?e cet atome qu?on appelle l?amour.??

La bonne compassion est une sensibilit? avec, l?action en plus, et la souffrance en moins, c?est la gu?rison de la vaine souffrance,?c?est la souffrance qui ?volue jusqu?? se m?tamorphoser en qu?te lucide, consciente, r?aliste, intelligente, fr?quente et tol?rante de la solution, c?est la compassion qui se munit de courage et de pers?v?rance et conduit ? l?esp?rance, c?est ce sentiment qui nous rappelle, ? la fois, notre ressemblance avec l?autre et notre diff?rence, notre souffrance et notre tol?rance.

La ressemblance des destins contribue largement ? susciter la compassion, l? o? la divergence devrait suffire.?On ne compatit qu?aux al?as dont on a, soi-m?me, fait l?exp?rience, c?est ?notre mis?re qui nous pousse ? compatir avec celle d?autrui. La compassion mire nos d?fauts et nos faiblesses, on a plus de compassion pour les gens qui nous ressemblent que pour les autres. En plus, face aux tristesses et d?tresses du monde, face ? ses heurts et malheurs, compatir compense nos manquements ? la charit? et ? la prodigalit?, et nous dispense de la lutte et du combat.

Cependant,?les guerres et les injustices du monde ainsi que le sang qui coule ? flot, on doit en convenir, exterminent notre compassion, nous rendent froids et insensibles et finissent par nous paralyser. Dans nos petites t?tes, on ne peut concevoir l?id?e du mal d?mesur? et excessif qu?on voit autour de nous. De visionner, quotidiennement, l?enfer o? vivent les faibles, ?chappe ? tout sentiment humain,?le choc est si massif qu?il en devient insoutenable, et la souffrance, si authentique qu?elle en est intol?rable, ineffable et in?narrable, donc automatiquement ?vacu?e, afin de survivre.

Quoi qu?il en soit,?? la compassion non d?l?t?re, j?ai toujours pr?f?r? un viatique, indispensable et salutaire, ? notre voyage sur terre, l?altruisme, cette exception sans r?gle.