chroniques
La désintégration
*?Sociologue et activiste associatif, Driss Ajbali est membre du Conseil de la communaut? marocaine ? l??tranger
??Vous, qui venez d?arriver en Belgique pour y vivre et y travailler, le Ministre de l?Emploi et du Travail souhaite une tr?s cordiale bienvenue, au nom du peuple belge. Le v?u du Gouvernement belge est que vous vous sentiez chez vous dans notre pays et que, tr?s rapidement, vous preniez votre place dans la vie sociale, dans la vie culturelle et dans la vie ?conomique de la communaut? r?gionale au sein de laquelle vous allez d?sormais vivre et travailler??
C?est ainsi que les immigr?s marocains, ?taient re?us par une brochure ?qui s?intitule ?Vivre et travailler en Belgique?. Un document de bienvenue, qui vante, dans ces ann?es soixante prosp?res, les avantages des conditions de travail et de vie quotidienne pour ces nouveaux venus.
Cinquante ans et quelques crises plus tard, des parents, tous issus de l?immigration marocaine, pleurent, afflig?s par ?le chagrin et la culpabilit?, devant le d?sastre commis par leurs enfants kamikazes. Plus les noms s??gr?nent, plus les visages se d?voilent, mieux se constitue le puzzle d?moniaque d?un projet funeste entrepris par un groupe scell? ?par l?amiti? ou la fratrie.
Elev?s, soign?s, ???duqu?s?? dans le plat pays de Jacques Brel, ces jeunes ont grandi dans cette Belgique o? il n?y a m?me pas l?argument du pass? colonial avec le Maghreb, ce que avance les paresseux analystes de comptoir quand il s?agit de la France et son indigeste contentieux avec le pass? alg?rien.
N?s pour la plupart dans les ann?es 80 ou 90, ils partagent comme d?nominateur commun d?avoir tremp? dans la d?viance. Pour les uns, le gangst?risme pur et dur comme les Barkaoui. Pour les autres, le dandysme d?linquant comme les Abdeslem ou Abaaoud. Des ??cas lourds?? comme aiment ? dire les travailleurs sociaux, protecteurs et na?fs. Ils ont appris ? tutoyer la d?linquance qui les a endurcis. Elle en a fait des malfrats rod?s ? la dissimulation, au mensonge et ? l?omerta. Et c?est pr?cis?ment pour ces raisons qu?ils se trouvent enr?l?s par d?obscurs pr?dicateurs, chasseur de t?te br?l?es pour qui le danger est une dope et l?adr?naline de l?action une promesse. Ils exploitent leur faille identitaire, v?ritable talon d?Achille de cette jeunesse d?sempar?e et sans perspectives. La faille identitaire, voil? le point de vuln?rabilit?.
De l?Islam, ils n?ont qu?une id?e bricol?e. Ils le bafouillent plus qu?ils ne le parlent. Ils se d?couvrent sur le tard une foi fanatis?e et exalt?s comme ?l?ment structurant et exclusif. Du coup, ils deviennent musulmans. Pas question d??tre Belge ou Marocain, c?est trop ?troit. La citoyennet??? La nation?? Le patriotisme?? La loyaut??? Ce sont des balivernes pour idiots utiles. Eux, ce sont des musulmans furieux. Ils portent la haine en bandouli?re avant de lui substituer le kalachnikov vengeur. Le jihadisme?? Un chemin pour une forme r?demption. La mort?? Une maquerelle qui leur pr?pare fianc?es et vierges par dizaines. Les victimes?? Des m?cr?ants dans une terre de m?cr?ance. L?objectif?? La mobilisation de la haine concentr?e au service d?une entreprise d?implosion dont ils ne sont que des accessoires sanglants.
Avec l??quip?e sauvage ? Paris en novembre, c?est le savoir vivre qui ?tait vis?. Avec le carnage de mars, c?est le Brussel du bon vivre et du cosmopolitisme serein qui est cibl?. Les questions nouvelles que posent ces deux trag?dies ne se limitent pas ? la France ou la Belgique qui sont d?sormais somm?s de changer de logiciel et de reformater leur approche de l?int?gration. Elles concernent toute l?Europe. Elles doivent, c?est exigence imp?rieuse, interroger le Maroc aussi.