Quel débat pour quelle société de demain ?

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*Ancien ministre, ancien repr?sentant du Maroc ? l?ONU, ex-pr?sident de l?universit? Hassan II-A?n Chok de Casablanca, Aziz Hasbi est enseignant

Le monde se transforme sous nos yeux. Une nouvelle r?volution industrielle est en train de s?installer, avec ses r?gles ?conomiques, ses contraintes sociales et son style de gouvernance. Elle va forc?ment fa?onner la soci?t? humaine, les r?gles de cohabitation, la distribution des richesses au sein des regroupements humains, car offrant moins de travail et gratifiant les ma?tres de la nouvelle ?conomie. Notre soci?t? devra immanquablement ?tre touch?e de plein fouet par ce mouvement. Comment nous pr?parons-nous ? tout cela?? L?absence de d?bat soci?tal transcendant le quotidien risque de nous faire manquer ce rendez-vous d?cisif?

Si en effet le monde change en permanence, certaines p?riodes du temps de l?humanit? sont plus marqu?es que d?autres par un rythme acc?l?r?. M?me si chaque g?n?ration croit qu?elle a ?t? ou est un t?moin privil?gi? des grandes mutations, il n?est pas exag?r? de dire que ce d?but du XXI?me si?cle semble bousculer de fa?on in?dite et irr?versible nombre d?id?es, de pratiques et d?institutions que l?on croyait enracin?es dans le temps et l?espace. Ayant subi autant de nouveaut?s en si peu de temps, nous avons tous l?impression que le monde a toujours ?t? ainsi et que plus rien ne pourra plus nous surprendre. Mais, en m?me temps, nous sommes irr?m?diablement accros aux fruits de ces changements. Il est ainsi quasi impossible pour quiconque d?imaginer sa vie sans t?l?phone portable, sans t?l?vision num?rique? et, pour beaucoup, sans informatique, sans Internet? Pourtant si nous faisons un petit effort, nous pouvons nous rappeler sans difficult? des ?poques relativement r?centes o? nous (ma g?n?ration ? tout le moins) vivions pratiquement sous le r?gne du degr? z?ro de la technologie, o? poss?der un t?l?phone (fixe, s?il vous pla?t) chez soi ?tait un privil?ge insigne... A l??re des giga-octets, des pixels, de la nanotechnologie et d?autres inventions que seule la science fiction pouvait oser imaginer jusqu?? une ?poque relativement r?cente, nous sommes devenus des consommateurs inconditionnels de nouveaut?s?; avec la certitude que nous sommes n?s pour en b?n?ficier. Il est vrai que celles-ci et d?autres encore ont facilit? certaines t?ches qui d?voraient de larges pans de notre quotidien?; ont am?lior? notre confort, voire notre esp?rance de vie?; certes avec moult effets moins heureux. Ce serait d?ailleurs fastidieux (et difficile) de passer en revue tous les aspects de notre vie ? l?aube de la quatri?me r?volution industrielle. Mon propos n?appelle du reste pas un tel effort.

Ce que me sugg?re cette digression sur le changement, c?est le fait de chercher ? savoir comment les soci?t?s qui ont initi? la plupart des nouveaut?s (tout azimut) se sont pr?par?es ou se pr?parent ? les int?grer dans leurs valeurs, dans leurs institutions et dans leur v?cu quotidien. Lorsque nous passons en revue leur pr?sent et leur pass? r?cent, nous constatons que les grandes ruptures ?conomiques, sociales, scientifiques, technologiques ont impuls? de grands d?bats intra soci?taux, voire inter soci?taux, ? la recherche de r?ponses face aux nouveaux d?fis. Il en est ainsi des interrogations sur les diverses avanc?es scientifiques et technologiques?: on se pose des questions quant ? leur impact sur les valeurs, sur les institutions, sur la vie en soci?t?, sur le travail, sur la sant?. Bref, sur l?Homme.

Quel d?bat traverse notre soci?t? aujourd?hui, alors que nous subissons avec les autres parties du monde tous ces changements?? Nous sommes incontestablement partie prenante de toutes les interrogations qui agitent l?ensemble de l?humanit?. Nous ne pouvons ?chapper ? leurs effets sur notre vie. Si nous regardons le profil du nouveau monde, celui dont nous commen?ons ? en vivre les pr?mices, force est de constater qu?il bouleverse le sch?ma sur lequel nous continuons ? baser nos pr?visions et nos perspectives. C?est un monde qui se dote de technologies et de techniques qui consomment moins de mat?riaux, qui produisent moins de travail, qui font appel au savoir, etc. Dans un tel monde qui va produire quoi et ? quelle fin?? Que deviendront ceux qui d?pendent d?un salaire?? Sur quel type de revenus peut-on compter?? Que deviendront nos rentr?es habituelles de devises dans un monde o? la couleur de la foi tend ? fermer les portes?; un monde qui tend ? la frilosit? est rampante?? Que deviendront nos mati?res premi?res dans une ?conomie mondiale marqu?e par peu de prodigalit??? Bref, quelle soci?t? allons-nous aligner face ? ce monde condamn? au verrouillage, si nous savons que nous n?avons pas les moyens de nous assurer une autosuffisance??

Je suis personnellement frustr? de ne pas voir germer ce type de d?bat sur notre proche avenir et de voir notre quotidien peupl? par de faux et de petits d?bats st?riles happ?s par l?actualit? qui ne brille pas chez nous par la richesse, la profondeur ou la diversit?. Nous passons d?un court terme politique et social ? un autre. Les gens, et surtout ceux qui ont des choses ? dire, se d?tachent de leur environnement pour noyer leur ennui dans les programmes des t?l?visions ?trang?res; croient avoir leur revanche ? travers les coups de griffe num?riques contre telle ou telle autre personnalit? politique?; etc. Tout cela fait le jeu du temps qui risque encore une fois de nous surprendre et de nous enfermer dans le fameux ??trop tard?? fataliste de nos regrets habituels. Lorsque nous d?veloppons un humour mordant ? l??gard de nos politiciens, cela chatouille peut-?tre notre ego de pr?tendant ? la libre-expression, mais ne remplace certainement pas une r?flexion s?rieuse sur l?int?r?t g?n?ral, ni ne constitue une alternative aux d?faillances de ceux que nous d?nigrons. M?me si nous fuyons virtuellement vers d?autres horizons, nos enfants sont appel?s ? vivre les cons?quences de notre manque d?int?r?t ? l??gard du g?n?ral au profit du particulier, de notre manque de perspicacit? vis-?-vis d?un avenir proche que notre d?dain (ou notre absence de courage) nous fait oublier de pr?parer. Quelle image donnons-nous aujourd?hui de nous-m?mes et quelle image souhaitons-nous fournir ? l?avenir?? Allons-nous accepter un quelconque compromis sur le caract?re pluriel de notre mod?le soci?tal et ingurgiter les touches que risquent de laisser certaines majorit?s gouvernementales de passage sur notre image de tol?rance c?l?br?e ici et l??? Quelle soci?t? du savoir avons-nous mise en place dans un monde de plus en plus savant??

Arr?tons juste un moment de nous prendre pour les plus fut?s, car le syst?me D n?a jamais ?t? qu?une tricherie face ? la vertu de l?effort et aux choses s?rieuses, et l?anecdote n?a jamais ?t? qu?une r?action d?incapacit? et de faillite face au r?el caricatur?. Arr?tons de croire que nous sommes des clients favoris du destin qui sera toujours l? pour se substituer ? nous et faire ce que nous n?avons pas voulu faire en son temps. Arr?tons de croire que le bricolage et le court-termisme constituent une vraie strat?gie face aux probl?mes de fond qui se posent ? nous. Le monde repose sur de grandes r?flexions strat?giques. Or, sans grands d?bats soci?taux, on ne saurait ?laborer de bonnes strat?gies?; et sans bonnes strat?gies, on est priv? de boussole.

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