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A cœur ouvert avec un ministre de l’Education nationale qui s’est fourvoyé - Par Bilal TALIDI
Chakib Benmoussa, le ministre de l’Education national qui n’a certainement qu’une idée vague des tumultes qui agitent les établissements scolaires depuis de longues années, ne s’est visiblement pas rendu compte que sur le terrain, la revendication et ses formes d’expressions échappent désormais aux syndicats et aux partis politiques
Je suis depuis ses débuts la tension qui secoue les établissements scolaires sur fond de profond désaccord sur le décret portant statut des fonctionnaires du ministère de l’Education nationale (MEN) en vue de les intégrer dans un cadre unifié, alors qu’une partie étaient soumise au statut de la fonction publique et l’autre au statut du personnel des Académies régionales d'éducation et de formation (AREF).
La controverse porte sur les dispositions de ce décret est nourri par ce que les cadres du MEN, soumis au statut de la fonction publique, considère comme une grande régression et une tentative du ministère de tutelle de leur imposer de nouvelles charges sans contrepartie salariale. Le ministère, lui, estime que ce texte constitue une réalisation inédite mettant un terme au statut juridique dual du personnel du MEN, comportant des incitations importantes en application de l’accord de janvier 2023 entre le ministère et les syndicats.
Il n’est pas utile d’entrer dans les détails du désaccord entre les deux parties, le plus important est de comprendre la logique du ministère de tutelle et l’objectif qu’il veut atteindre. Est-il adoptable en l’état et y a-t-il d’autres voies de le mettre en œuvre, les discussions et négociations étant dans l’impasse ? Ou alors cet objectif est irrecevable en l’état et impossible à mettre en œuvre ?
Quatre préoccupations principales structurent apparemment les objectifs du ministère voire ceux de l’Etat :
.-1- L’abrogation du statut de la fonction publique, via l’intégration des anciens cadres ne relevant pas du personnel des AREF au nouveau statut unifié qui n’a aucun rapport avec le statut de la fonction publique ;
.-2- L’officialisation de l’idée qui veut que la qualité de l’enseignement est indissociable du rapport incitations financières-formation et de la relation les manquements - sanctions sévères, et la consécration de l’idée selon laquelle le soutien institutionnel dépend de la qualité des apprentissages ;
.-3- La modification du régime des activités parascolaires fondé sur le volontariat en obligation ;
.-4- La possible réforme globale du système éducatif sans coût significatif pour le budget de l’Etat.
Je vais me limiter dans ce texte à examiner la première préoccupation, laissant les trois autres à des articles à venir.
En effet, l’abrogation du statut de la fonction publique et l’intégration des anciens cadres ne relevant pas du personnel des AREF au nouveau statut unifié a péché par deux manquements, l’un institutionnel, l’autre en rapport avec la gestion du dossier.
Au plan institutionnel, on comprend mal comment un Département et son ministre ont pu ignorer deux institutions compétentes en la matière. La première, le Conseil supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche scientifique (CSEFRS), est tenue, par la force de la Constitution, d’émettre son avis sur tous les textes juridiques se rapportant à la question de l’éducation-formation. La seconde est la Commission ministérielle chargée de la réforme de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique, un organe qui relève de la compétence du Chef du gouvernement, censée veiller à la mise en œuvre de la vision stratégique de la réforme.
Le ministre a peut-être fait l’impasse sur ces deux institutions par souci d’immunisation du décret controversé contre toute perturbation ou fuite aux différents acteurs. Sauf qu’il aurait été plus pertinent et plus conforme à la procédure de faire face à la perturbation, qui est tout de même arrivée, sachant que les deux institutions auraient pu par des propositions bien inspirées lui éviter l’impasse à laquelle a abouti son projet.
Au plan juridique, on a du mal également à saisir les motivations qui ont poussé le ministre à recourir à la procédure du décret, alors qu’ en réalité il modifiait et transgressait deux lois en même temps, celle de la fonction publique et celle du statut des AREF.
Il est possible qu’en optant pour cette voie, le ministre a tenté de contourner le Parlement et d’éloigner les partis politiques du débat sur ce sujet. Peut-être encore a-t-il cru que le décret, s’il est endossé par les syndicats ‘’les plus représentatifs’’, passerait sans difficultés majeures.
Le ministre qui n’a certainement qu’une idée vague des tumultes qui agitent les établissements scolaires depuis de longues années, s’est fourvoyé, ne s’étant visiblement pas rendu compte que sur le terrain, la revendication et ses formes d’expressions échappent désormais aux syndicats et aux partis politiques qui n’ont plus aucun contrôle sur la contestation. De nouvelles structures d’encadrement sont devenues plus puissantes que les syndicats et disposent d’une plus grande force de mobilisation. Faute d’avoir associé ces nouvelles structures, la rencontre du ministre de l’Education nationale et du Chef du gouvernement avec les syndicats n’a eu aucun impact sur l’arrêt ou la réduction des contestations en cours dans les établissements scolaires.
Si l’intérêt de l’Etat était d’en finir avec la génération des cadres antérieurs aux AREF, on aurait cherché la solution du côté de la gestion et non pas dans la promulgation d’un nouveau texte de loi, et c’est là où réside le deuxième aspect du problème.
Des statistiques du MEN font ressortir que sur 283.662 enseignants en exercice au titre de l’année scolaire 2023/2024, quelque 140.000 sont des cadres des AREF, c’est-à-dire que près de la moitié de l’effectif des enseignants sont des cadres antérieurs aux Académies.
Les chiffres font état d’une moyenne annuelle de 20 mille enseignants mis à la retraite, un taux qui devra culminer à 27 mille en 2024. Autant dire que la page de la génération antérieure aux AREF sera définitivement tournée au bout des huit années à venir, à l’exception des catégories ayant rejoint les Académies sous le statut de la fonction publique quelques années plus tôt.
Trois options sont envisageables pour clore le dossier de la génération antérieure aux AREF sans provoquer trop de tension dans le système scolaire. Il s’agit de la retraite pour le personnel ayant atteint l’âge légal de la retraite anticipée selon les conditions prévues par la loi (21 ans pour les enseignants et 15 ans pour les enseignantes). Une démarche qui appelle la flexibilité de ministère à l’égard de l’impératif de parachever 30 ans de service. Il est également question du départ volontaire pour les catégories ne figurant pas parmi les deux cas précités, avec le maintien jusqu’à l’âge légal de la retraite des cadres ne souhaitant pas faire ce choix.
Cette batterie d’options, même si elle devrait prendre dix ans au maximum et huit ans au minimum, est moins couteuse que la tension inédite qui n’a pas lieu d’être dans les établissements scolaires. Car, au lieu de régler le problème des cadres des AREF, le ministère en a créé un autre avec les enseignants de la fonction publique au point de provoquer une paralysie générale du système scolaire.
Il est certain que cette gestion aura un coût élevé que la caisse de retraite ne saurait supporter, mais c’est un coût qu’il faudra payer plus chèrement un jour ou un autre aujourd’hui.