chroniques
A Washington, ‘’le moment d’épiphanie’’ n’a pas eu lieu’’ – Par Naïm Kamal
Une manifestante tient un linceul sur lequel on peut lire "enfants de Gaza" alors qu'il participe à la Marche nationale pour la Palestine dans le centre de Londres le 9 décembre 2023, appelant à un cessez-le-feu total dans la guerre à Gaza. Peut-on même espérer et compter sur un immense réveil des consciences et de l’opinion publique américaine et internationale, comme ce fut dans l’atroce guerre du Vietnam, pour arrêter le carnage (Photo par HENRY NICHOLLS / AFP)
Par Naïm Kamal
Avant la réunion du Conseil de sécurité du 8 décembre 2023, qui a vu Washington recourir à ‘’son veto’’ contre une résolution appelant à cesser les massacres israéliens à Gaza, un diplomate arabe espérait dans une déclaration à un quotidien français que les Etats-Unis auront leur ‘’moment d’épiphanie’’ pour ramener Tel-Aviv et ses hordes armées sinon à la raison, à la retenue.
Un moment d’épiphanie est une « prise de conscience soudaine », une sorte de révélation lumineuse. L’expression, venant du grec, a transité par la tradition chrétienne pour évoquer et célébrer la visite des Rois Mages à l'enfant Jésus. Elle a fini par atterrir dans la littérature pour décrire un moment où un personnage a une soudaine prise de conscience ou révélation sur la nature des choses.
Mais c’était prendre un fromage pour la lune de croire que Washington pouvait comprendre subitement que le massacre des Palestiniens, contrairement à la Guerre du Vietnam, en direct et en temps réel, déchire la conscience humaine d’une manière dont on ne soupçonne pas toutes les conséquences dévastatrices.
Sans surprise donc, les Américains ont, vendredi, mis leur véto pour la 35e fois, sur 39 au total depuis 1970 selon l’AFP, à une résolution sur le dossier israélo-palestinien. Sur les 15 membres du Conseil de sécurité, ils étaient les seuls, à peine suivis par le Royaume-Uni qui a osé une timide abstention dès lors que son veto n’ajoutait rien au rejet de la résolution. Et au cas où il se trouverait quelqu’un qui n’a pas bien compris, dès le lendemain Washington approuvait la livraison ‘’d’urgence’’ à Israël de près de 14.000 obus de 120 mm pour les chars de combat Merkava engagés dans la guerre contre les Palestiniens.
Ces obus ont une capacité de pénétration élevée pour vaincre les blindages modernes, intègrent des technologies avancées de guidage de précision ou des fusées programmables, augmentant leur efficacité, et permettant d'engager des cibles à des distances considérables avec une grande précision. Ce qui n’empêche pas le président américain, dans un cynisme outrancier, de prier gentiment Netanyahu ’’d’épargner’’ autant que faire se peut les civils.
L’hurbis de la puissance
Ne se souvenant pas bien sûr qu’ils ont politiquement et matériellement aidé à l’émergence de Hamas pour faire imploser, l’OLP, Washington comme son autre ‘’allié indéfectible’’, Londres, reprochent au projet de résolution sa non-condamnation de l’attaque du 7 octobre, et au Hamas de ne pas reconnaitre ‘’le droit d’Israël à l’existence’’.
Les mêmes reproches comme par hasard qu’ils faisaient autrefois à l’OLP de Yasser Arafat, jusqu’au jour où, pour donner sa chance à la paix, le leader palestinien prononça à Paris, le 2 mai 1989, le mot fatidique, déclarant ‘’caduque’’ la charte fondatrice de son mouvement qui préconisait le démantèlement de l’Etat hébreu.
Qu’a-t-il obtenu en contrepartie ? Rien, sinon des accords d’Oslo en 1993 qui n’ont jamais vu le jour, l’assassinat en 1995 par l’extrême droite israélienne de son co-Nobel de la paix hébreu, Yitzhak Rabin, son décès suspect en 2004, l’accélération de la colonisation et tout ce qui s’en est suivi jusqu’au carnage actuel.
Aucune tête un tant soit peu pensante à Washington ne peut ignorer que la position de leur pays nuit à son image déjà exécrable dans ce que l’on appelle désormais le Sud global. Mais tout à leur puissance jamais égalée dans l’histoire, la perception que les autres ont d’eux, les Etats Unis s’en moquent comme de l’an quarante. Il n’y a qu’à voir comment ils mènent, malmènent et soumettent leurs alliés du G7 et les Etats satellites, à leurs desiderata géopolitiques pour bien comprendre le dérisoire de nos manifestations de rue le dimanche.
Depuis la chute du Mur de Berlin, Washington n’a envoyé au monde et particulièrement au Sud global, qu’un message : écrasez-vous ou l’on vous écrasera comme l’on est en train d’écraser les Palestiniens et comme on a écrasé l’Irak, la Syrie, la Libye pour ne citer que ces opérations de déstabilisation grandeur nature.
Faudrait-il pour autant leur en vouloir ? Incriminer leur puissance ou notre impuissance qui nous réduit à l’espérance d’un grand réveil des consciences et de l’opinion publique américaine et internationale, comme ce fut dans l’atroce guerre du Vietnam, pour ramener l’hubris de la force démesurée à la juste mesure ?