chroniques
Ainsi va le monde arabe – Par Seddik Maaninou
Le Le défunt Roi Hassan II au Sommet arabe de Rabat en 1974
Le 19 mai dernier s’est tenu à Djeddah le sommet arabe et n'a duré qu'une seule session. Les intervenant n'ont eu droit qu’à quelques minutes de parole et le prince héritier d'Arabie saoudite a surpris son monde en annonçant dès l’approbaaion de ‘’l’Appel de Djeddah’’ la clôture des travaux.
Sans autre forme de commentaire, les délégations se sont précipitées à l'aéroport, "louant Dieu" de leur avoir permis d’accomplir leur mission.
Les coulisses des préparatoires
Les coulisses de la préparation du sommet ont été marquées par des alliances complexes tant le sommet s'est tenu dans un contexte international en bouleversement, marqué par les violences et les tensions. Dont la guerre féroce de l'Occident, mené par les États-Unis, qui a mobilisé toutes ses forces pour affaiblir l'armée russe après son attaque contre l'Ukraine, n’en est qu’une illustration. Faut-il le rappeler, l'Europe démocratique est le continent où l’on a vu les guerres les plus dévastatrices, la dernière en date étant la guerre en Yougoslavie et ses crimes contre l'humanité.
Ce sommet s'est caractérisé par la présence en arrière-plan de l'Iran, tandis que sur le devant de la scène, la participation de Bachar al-Assad a capté la lumière, charriant derrière lui un pays au demi-million de morts, des millions de déplacés et la destruction de la plupart des villes syriennes, ainsi que des dizaines de milliers de prisonniers d'opinion. Cette présence passée quasiment comme une lettre à la poste a été fort probablement l’un des arrangements de l’accord surprenant entre Riad et Téhéran parrainé par la Chine.
Pendant que le sommet se déroulait à la vitesse de la lumière, les États-Unis se préparaient au départ du Moyen-Orient qu’ils rêvaient, à leur manière ‘’Grand’’, actant l'échec de leur tentative d'imposer "leur modèle démocratique". Avant leur départ, ils ont insisté sur l'invitation de Volodymir Zelensky, qui a dit aux Arabes sur un ton sentencieux : "Vous ne vous êtes pas mis d'accord pour soutenir mon pays qui fait l'objet d'une agression russe".
Parolé, parolé, chantait Dalida
Cette toile de fond était très présente dans le sommet, mais personne n'a osé l'aborder. Malgré les "incendies" qui continuent de sévir dans plusieurs pays arabes, y compris le Soudan, la plupart des discussions semblaient puiser leur encre dans du "beurre et du miel", donnant l'impression que l'on assistait à un sommet des pays scandinaves qui caracolent aux sommets des indices de bonheur collectif et individuel.
Ceux qui ont suivi les interventions en sont sortis avec l'impression qu’un accord tacite, se ce n’est explicite a été conclu pour bannir du sommet des termes tels "démocratie, élections justes et transparentes, prisonnier d'opinion... respect des droits de l'homme". Si bien que l’on est justifié d’en déduire que les gouvernements arabes se sont mutuellement " donné le feu vert" à plus de répression et d'étouffement des libertés au nom de la stabilité. Le reste peut attendre.
Juste pour mémoire
J’ai eu à couvrir de nombreux sommets arabes et je me rappelle combien leurs préparatifs comme leur déroulement étaient tendus et marqués par des débats vifs et intenses. Je me souviens de plusieurs sommets qui ont été le théâtre de confrontations frontales et de batailles politiques fortes. Ce fut le cas particulièrement au sommet arabe de Rabat en octobre 1974, qui a in fine reconnu l'Organisation de libération de la Palestine comme l’unique et légitime représentant du peuple palestinien. Cette reconnaissance en poche, Yasser Arafat s'était ensuite rendu aux Nations Unies dans un avion marocain pour dire au monde : "Je suis venu avec un fusil et une branche d'olivier, ne laissez pas celle-ci tomber de ma main !’’.
Il y a eu aussi les sommets de Fès en deux temps :1981 et 1982. Les tensions y ont atteint leur paroxysme. Au point que le Roi Hassan II, répliquant à l’obstination du ministre des Affaires étrangères syrien, Abdel Halim Khaddam, lors du deuxième sommet : " Abou Jamal, l'aéroport de Fès n’est trop loin de notre lieu de réunion".
L'objectif de ce sommet en deux temps était d'étudier "le plan de paix du roi Fahd", du nom du souverain d’Arabie Saoudite qui en était le parrain. Après le premier sommet de 1981 qui s’était terminé sur un échec, les chefs d'État arabes s’étaient retrouvés à nouveau, à Fès, onze mois plus tard, en septembre 1982. Entre temps Israël avait occupé la moitié du Liban, et assiégé Beyrouth. Les détails de ces deux sommets de Fès sont consignés dans mes mémoires.
En août 1989, on assistera à un autre sommet houleux dont le principal point à l’ordre du jour était la réintégration de l’Egypte à la Ligue Arabe. Là encore, la véhémence a été à son comble et le souverain marocain a dû déployer des trésors de patience pour qu’enfin les Egyptiens retrouvent leur place et le siège de la Ligue revienne au Caire après un exil tunisien de dix ans.
L’ébullition
Dans le Moyen-Orient d'aujourd'hui, on assiste à une course en vue d’établir de nouveaux équilibres et des alliances possibles, qui pourraient être surprenantes. Israël, la puissance arrogante, est plongée dans le marécage de l'extrémisme. L'Iran, la puissance montante, sur le chemin de la bombe nucléaire, oppresse son peuple pris dans les griffes des ayatollahs rétrogrades. L'Égypte, en proie à des crises économiques et politiques, doit aussi faire face à la menace que fait peser sur ‘’son’’ Nil le barrage éthiopien de la Renaissance. La Turquie rêve de revivre les gloires de l'empire ottoman. L'Arabie saoudite, après avoir été épuisée par la guerre au Yémen, intervient sur plusieurs fronts et manœuvre pour le leadership régional. Sans oublier les Émirats arabes unis qui usent de leur influence économique et politique soutenue par des services de renseignement très présents, ni Qatar d’ailleurs et son influence médiatique à travers sa chaine tentaculaire Al Jazeera. Les relations entre ces Etats sont régies par des rivalités aux racines historiques et tribales qui remontent loin dans le temps.
La région vivra certainement au milieu de ces conflits, alternant périodes de confrontation et de calme, jusqu'à ce que tout se termine par un équilibre fragile et temporaire, qui entraînera de nouveaux tourbillons et perturbations qui pourraient emporter certains régimes.
La politique des vetos
Ce qui est certain, c'est que la réunion de Djeddah a ouvert la voie à une recherche difficile d'équilibres et d'alliances qui semblaient impossibles. Le sommet a rejeté les trois vetos américains : "Pas de normalisation avec la Syrie et l'Iran, pas de levée des sanctions, pas de contribution à la reconstruction..." Cette situation m'a remis en mémoire les trois ‘’Non’’ du sommet de Khartoum après la défaite de juin 1967 face à l’Etat hébreu : "Pas de normalisation avec Israël, pas de reconnaissance, pas de négociations..."
Où en sommes-nous aujourd'hui par rapport aux ‘’refus catégoriques’’ de Khartoum et comment serons-nous demain par rapport aux vetos de Washington ?
Au Maghreb aussi
Pendant ce temps, les pays du Maghreb vivent loin de ces transformations, se débattant avec leurs propres démons résultant des incendies que l'armée algérienne persiste à déclencher dans une compétition stérile et régressive, cherchant un "leadership maghrébin" pour lequel elle n'est pas qualifiée et qu’elle n’est pas en mesure ni d’assumer ni de prendre en charge. Dans notre région, la menace que font planer des militaires qui gouvernent et contrôlent tout un peuple, ne présage que l'escalade.
Ainsi vont les Arabes, aussi bien en Orient qu’au Maghreb, dans une perpétuelle spirale de crises, alors que les peuples guettent des voix de la sagesse et aspirent à la sérénité. Ma conviction est que le Maroc de Mohammed VI est qualifié pour en être l’une d’elles et pas des moindres.