chroniques
Ces bleus que je ne saurais voir…
Le Maroc a « célébré » à sa manière la journée mondiale de la lutte contre la violence faite aux femmes. Mais cette année, mon pays a choisi de ne pas croire à la publicité mensongère. Non, on a décidé de ne rien maquiller du tout...
Le Maroc a « célébré » à sa manière la journée mondiale de la lutte contre la violence faite aux femmes. On l’a fait à la mode de chez nous. Avec nos gros sabots, sans façon et une spontanéité inquiétante. On a été nous-mêmes, nous accommodant des coups portés aux femmes de ce pays. Les bleus sur le corps, les coquards à la place des yeux, les âmes meurtris ne choquent personne. Ils sont acceptés. Que dis-je banalisés et légitimés. Il suffit juste de les maquiller, histoire de cacher cet œil au beurre noir que je ne saurais voir.
Cette année, mon pays a choisi de ne pas croire à la publicité mensongère. Pas question d’assumer le lourd slogan du plus beau pays du monde. Pas question non plus de vendre la tolérance comme marque de fabrique. Pas question enfin de brandir l’égalité et les droits des femmes en étendard. Non, on a décidé de ne rien maquiller du tout. D’être nous-mêmes, pour une fois.
Etrangement, c’est par la violence à l’encontre de la moitié de la société que nous nous sommes révélés à nous mêmes. La séquence maquillage à la télévision pour apprendre aux femmes battues comment cacher leurs bleus est-elle si surprenante que cela dans un pays où les campagnes contre les violences faites aux femmes ne sont que conjoncturelles. Le temps d’une journée mondiale et d’une campagne aussi éphémère que sans contenu réel ?
En l’an de grâce 2016, Bassima Hakkaoui, la ministre islamiste en charge de la condition féminine a fait fort en faisant du respect des femmes un signe de virilité un slogan. “La violence à l’égard des femmes, une preuve de lâcheté... Le respect des femmes, un signe de virilité” est un slogan qui ne s’invente pas. C’est celui de la campagne officielle de lutte contre la violence faite aux Marocaines. Message surréaliste ? Signature kafkaïenne d’une campagne gouvernementale qui fait la part belle aux stéréotypes? Pas vraiment. Cette manière de combattre la violence, les coups, les blessures, les bleus procède de la culture de celle qui est à la tête d’un département ministériel censé défendre et porter les droits des femmes. Bassima Hakkaoui a fait du Bassima Hakkaoui et il ne faut surtout pas s’en étonner. Ce qui ne nous empêchera de rappeler à cette (ir)responsable gouvernementale que la lâcheté n’est pas punie par la loi contrairement à la violence, qui, elle, est un crime…
Cette année, notre « célébration » de la journée mondiale contre la violence faite aux femmes a définitivement un goût amer. Devant le consulat de France, à Casablanca, une manifestation a été organisée pour soutenir un présumé violeur. Un chanteur, star dans le monde arabe, a le droit de violer, frapper, maltraiter une femme qui est montée dans sa chambre mais à qui il est interdit de changer d’avis. Libérez-le, libérez-le, le viol, c’est presque une preuve bruyante d’un consentement qui n’ose dire son nom. Les fans sont parfois aveuglés d’amour…
Ainsi va le Maroc. Ainsi va mon pays qui sait prendre des largesses avec des principes qui, pourtant, n’acceptent aucune concession. Aucune.