Chaos au cœur de la nuit – Par Ahmed Massaia

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Ce dessin, devenu iconique de la solidarité marocaine, a été inspiré par la vidéo du vieux marocain, qui a ‘’dos’’ de bicyclette a rejoint les lieux du sinistre pour remettre aux victimes un demi sac de céréales

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La terre a tremblé ce vendredi 08 septembre 2023 dans le haut Atlas au Maroc. La terre a rugi en pleine nuit et mis à plat toute une région où des montagnes, qui avaient pourtant résisté au temps depuis des millénaires, ont plié l’échine devant les forces incommensurables de la nature. La terre a tremblé et secoué tout un peuple pour le mettre subitement devant ses propres valeurs, devant ses forces mais aussi devant ses faiblesses. 

Le regard vers le ciel, on ne résiste pas à la question : à quoi pense le Roi en faisant don de son sang. Certainement pas à autre chose que ce qui vient de frapper le Maroc.

Le tremblement de terre d’El Haouz a subitement mis les projecteurs sur nos contradictions, sur la richesse la plus insolente et la pauvreté la plus noire, sur une ville s’oubliant dans le faste et les montagnes environnantes oubliées des hommes, dont les habitants sont livrés à l’abandon et la précarité chronique. Entre, d’un côté, Marrakech la ville ocre aux mille contractions dont Elias Canetti avait dit dans Les voix de Marrakech qu’elle était dépourvue de logique cartésienne, affichant avec arrogance ses multiples hôtels huppés et ses riads des mille et une nuits ainsi que ses excroissances à leur service. De l’autre, à quelques encablures de cette ville, une région de réprouvés, aux multiples douars accrochés désespérément aux flancs des montagnes tels des enfants s’agrippant à des seins desséchés. Un pays déroutant. Un pays aux mille couleurs dont la profondeur historique et la richesse culturelle dérange plus d’un et qui, soudain au fond de la nuit subit le chaos le plus terrible.

Procession de camions et de voitures sur les voies accessibles de l’Atlas, roulant au secours des victimes.

En quelques secondes, la nature a mis à plat les riches et les pauvres, les mettant tous devant l’irrémédiable. Le tremblement de terre, comme toutes les catastrophes naturelles, devient alors le révélateur de la face cachée d’une société qui a tendance à s’oublier et qui, soudain, lève la tête vers le ciel pour voir se refléter sa propre réalité, celle qu’on a tendance à oublier : une solidarité sans commune mesure, une résilience spontanée, montrant ainsi au monde entier que les richesses véritables sont celles du cœur. Elles sont là ces signes de la cohésion et de l’entraide légendaires. Un Roi au cœur tendre se hâtant d’aller donner son sang et s’enquérir de la situation des victimes de la terreur. Cette file interminable de véhicules traversant les zones sinistrées dans un élan de générosité pour aller à la rencontre de ceux qui pleurent en silence et leur apporter réconfort et subsistances alors que l’armée et les autorités paraient au plus urgent : ouvrir les routes et sortir les sinistrés des décombres. Ce vieil homme sur sa bicyclette avec un petit sac de farine qu’il allait offrir aux sinistrés car c’était sans doute tout ce que pouvait offrir un nécessiteux à son semblable. Des images qui réchauffent les cœurs et témoignent que tout n’est pas perdu. Que le cœur des femmes et des hommes de notre pays bat encore pour ceux qui souffrent. Imaginons, pensai-je, que, de temps à autre, les cœurs tremblent avec la même intensité pour que cet élan de générosité puisse résorber des disparités endémiques qui gangrènent encore notre pays. Une région donnée à chaque fois jusqu’à la résorption de ces inégalités criantes. Une utopie certes mais un vœu car tout est possible.

Le tremblement de terre nous a rappelé cette force incommensurable dont peut s’enorgueillir notre pays. Cette fierté qui a dérangé ceux qui oublient encore que l’arrogance des nantis, le paternalisme aveugle, le néocolonialisme à peine masqué, sont désormais révolus, emportés par des ouragans de prise de conscience au point de pousser un épi vide à gesticuler maladroitement et perdre ainsi la raison.

Certes, le tremblement de terre d’El Haouz fut édifiant quant à cet élan de générosité généralisée comme ce fut le cas lors du drame de la région de Chefchaouen quand cet enfant tomba dans le puits. Mais méprenons-nous car il existe parmi nous des brebis égarées, les nihilistes, les profiteurs, les hypocrites, les friands de selfies et dont les attitudes exécrables, dénoncées heureusement par les consciences vives de ce pays, n’avaient d’autre but que souffler sur les braises ou profiter honteusement d’une situation dramatique. Sans doute qu’il y eut des manquements et des dérapages: notre chère dame des médias qui tarde à réagir, diffusant des émissions débiles, alors que, de l’autre côté des frontières, les chaînes de télé et les radios avaient suspendu leurs émissions pour nous informer en temps réel, un gouvernement atone, sans voix ni foi, des agents d’autorité zélés, obnubilés par les instructions au lieu d’être un peu plus imaginatifs, ce qui a exaspéré plusieurs citoyens blessés dans leur chair, sans doute par ignorance de l’ampleur du chaos engendré par cette catastrophe naturelle et l’incapacité des secours à satisfaire en un temps record la multiplicité des localités sinistrées dont certaines étaient rasées totalement et inaccessibles. 

Un travail gargantuesque est entrepris dans l’abnégation et la discrétion. Il reste beaucoup à faire : sauver ce qui peut l’être encore, aider les survivants à se loger et se nourrir de manière décente et honorable, répertorier et aider à la reconstruction selon des normes architecturales et culturelles en veillant aux infrastructures de base jusque-là absentes, s’occuper des enfants abandonnés à leur sort, sans toit sans famille, comme vient de le recommander Sa Majesté le Roi. Alors, mesdames et messieurs les détracteurs, il n’y a qu’une seule chose qui arrive subitement, sans attendre, sans prévenir : un tremblement de terre.