chroniques
Economie, gouvernance, moralité : La triple faillite du PJD
Saâdeddine El Othmani, Abdalilah Benkirane et Mustapha Ramid, aucun cheval entrant sauf s’il n’y a personne dans la course
Trois en un, c’est l’anamorphose politique que l’Istiqlal, le PPS et le PAM nous ont offerte en présentant la conception qu’ils ont des élections générales de 2021. A quelques nuances près, rien de bien différent de la production politique de ces quatre dernières décennies, légèrement revue et passablement corrigée à la lumière des évolutions entamées sous Hassan II et approfondies avec Mohammed VI. Le PJD, l’UC et l’USFP ont, chacun de son côté, présenté leur perception des échéances à venir, tandis que le RNI, stoppé net dans son élan par le confinement, s’est gardé de rendre publique sa position préférant, selon des sources du Rassemblement d’Akhannouch, la remettre en mains sûres au ministère de l’Intérieur.
Aucun des documents ne manque de pertinence, mais tous perdent de leur teneur dès que les analyses et positions des uns et des autres sont restitués aux comportements et positionnements de leurs porteurs. Ce qui fait que tout l’intérêt de l’agitation qui s’est emparée des formations politiques depuis la rencontre du 8 juillet avec le ministre de l’Intérieur se réduit au maintien des communales et des législatives à l’heure dite. A moins que la pandémie n’en dispose autrement.
Ajouté à la langueur du rythme imposé par le confinement, l’incapacité de la vie politique marocaine à sortir du labyrinthe « mode de scrutin-lois électorales-commission nationale etc.» à l’ordre du jour depuis le siècle dernier, imprime à la vie politique une sensation si désagréable de surplace qu’elle en devient déconcertante aussi bien que lassante. La faute, cela va de soi, aux partis politiques qui souffrent d’une impuissance chronique à influer sur le cours des évènements. Mais aussi à l’Etat qui ne se résout pas à laisser le jeu politique prendre son envol. Sa propension à garder la main sut tout ce qui bouge ne facilite naturellement pas les choses.
Le PJD, ce cauchemar
Alors que la pandémie du Covid-19 a introduit de nouvelles donnes et induit de nouveaux défis, la classe politique marocaine, où qu’elle se trouve - dans les cercles du pouvoir, au sein des partis ou parmi les observateurs - ne semble préoccupée que par la place que pendra aux prochaines élections le PJD, craignant pour les uns, espérant pour les inconditionnels du parti islamiste, qu’il n’arrive encore en tête des législatives. Cette préoccupation, incongrue, est d’autant plus paradoxale que la véritable question qui s’impose aujourd’hui à tous consiste à évaluer le degré de confiance, quasi insignifiant, que les citoyens placent encore dans les rouages qui animent la vie politique nationale.
La défiance populaire à l’égard des institutions représentatives, et, disons-le, des organes exécutifs de l’Etat, ne date pas de ce jour. De tout temps l’Administration territoriale et ce qu’elle représente l’a alimentée par ses comportements et par sa communication axée sur la décrédibilisation de la représentation populaire avec, paradoxalement, la complicité, parfois passive, souvent active, des directions partisanes. Et c’est en grande partie sur ce terreau que s’est construite la popularité des islamistes en général et du PJD en particulier qui a fait le pari d’infiltrer l’appareil de l’Etat par le biais du légalisme constitutionnel.
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Le succès, somme toute relatif, de ce dernier aux législatives de 2011 dans la foulée du mouvement du 20 février dont il a usurpé les retombées, s’explique par le « tous pareils, tous pourris » qui avait fini à la longue par devenir le prisme à travers lequel on appréhende la politique et ses hommes au Maroc.
La présumé virginité du PJD, sa fraicheur, alors réelle, par rapport aux autres forces, sa prétention fallacieuse d’incarner la Vertu ainsi que son programme économique outrageusement démagogique qu’il est empressé de renier dès son accession au gouvernement lui ont permis dans ce contexte particulier de se démarquer de l’éculé et d’élargir son assiette électorale au-delà de ce qu’il pouvait lui-même naturellement espérer. Aux échéances suivantes, en 2016, la popularité de Abdalilah Benkirane consacré par son populisme à tout crin, sa crânerie et sa capacité ingénieuse à trouver des mot-valise à l’image de « tamasih et Alafarit » que chaque citoyen pouvait investir de ses frustrations et fantasmes, son positionnement en victime de « attahakoum » ( régulation musclée), concept devenu le raccourci de toutes les manifestations autoritaristes du pouvoir, ont permis au PJD de reprendre la chefferie du gouvernement. Cependant, l’analyse serait incomplète si l’on n’y ajoute pas, pour expliquer la réussite du parti islamiste à occuper les devants de la scène partisane, les erreurs d’appréciation de l’Administration dans la mise en œuvre des politiques d’endiguement des islamistes.
De sacrés noceurs
Dix ans après, que reste-t-il de tout cela ? Rien ou presque. Le programme électoral a été vite jeté aux oubliettes. A la première occasion, les frères ont sacrifié leur « charismatique chef » sur l’autel de portefeuilles ministériels. De Abdalilah Benkirane, un marchand de mots, hormis ses bouffonneries de tribun inspiré, on gardera particulièrement sa posture courageuse, il faut le dire, d’assumer les décisions économiques les plus impopulaires que les plus orthodoxes néolibéraux du FMI ne renieraient pas. On n’oubliera surtout pas sa pension de retraite que beaucoup de Marocains ont trouvé en plus d’indue un peu trop coquette et sa façon de la défendre outrageante.
Au plan de la morale, leur cheval de bataille par excellence, on ne peut pas dire, non plus, qu’ils ont été un modèle de pureté. De Habib Choubani à Mohamed Yatim en passant par Omar Ben Hammad , les parangons de la vertu friands du hijab se sont révélés d’inégalables coureurs de jupon et de de sacrés noceurs. Dans le même registre mais à un autre niveau, les ministres Mustapha Ramid, le plus littéraliste des pjdistes, et Mohamed Amekraz, récupéré de chez la jeunesse du parti pour le faire rentrer dans les rangs, tous deux avocats, ont montré qu’ils étaient peu regardants sur le droit des travailleurs dès lors qu’il s’agissait de leurs propres cabinets.
D’aucuns savent que les islamistes sont forts pour trouver des excuses au mortel pécheur qu’Allah absoudra à peu de frais, une repentance (attawba) jusqu’à nouvelle transgression. De même beaucoup n’ignorent pas que l’archaïque conception médinoise et mecquoise qu’ont les islamistes de l’Etat n’a rien à voir avec l’Etat moderne, l’Etat de droit et des droits.
Où que l’on donne de la tête, le PJD n’a tenu aucune de ses promesses. Il est ainsi évident que les frères sont devant leur triple faillite : une faillite de gouvernance, une faillite économique et une faillite morale. Eux même en sont conscients au point que ceux que le chroniqueur Mokhtar Salmate appelle les spin doctor du PJD avancent pour justifier leur retour au gouvernement en 2021 la capacité des islamistes à servir de relais entre le pouvoir, le vrai, et la société pour la convaincre de se serre la ceinture et d’adhérer sans condition à la paix sociale. Et peu leur importe que leur offre de service soit si pauvre qu’elle en devient indigente.
Et pourtant, ce sont ceux-là que certains craignent de voir les électeurs, en dépit de tout, leur remettre les pieds à l’étrier. Une probabilité à ne pas écarter. Mais s’ils sont reconduits ce sera une fois encore, mais plus encore, par défaut et en raison d’une plausible forte abstention qu’ils appellent de tous leurs vœux. Car le cœur fidèle de leur électorat qui croit plus à l’aumône qu’à la Sécurité Sociale et à Allah clément et miséricordieux envers son serviteur croyant même pécheur, sera, lui présent. Il n’y a qu’à voir leurs propositions pour les élections prochaines, marquées essentiellement par l’immobilisme, pour comprendre que les islamistes placent leurs espoirs dans la défection électorale.
L’espoir des autres, ceux qui n’aimeraient pas les revoir au gouvernement, réside dans leur aptitude à faire de ces dix années de reniements des convictions, d’écarts éthiques, d’indigence technique et de mauvaise gestion gouvernementale une construction suffisamment cohérente et crédible pour que la mayonnaise prenne. Leur leadership ne porte plus comme avant. Saâdeddine El Othmani n’a pas les reliefs de Abdalilah Benkirane qui lui-même a perdu de ses aspérités en se complaisant dans une confortable retraite dans tous les sens du mot. Mustapha Ramid qui pouvait se présenter comme un challenger possible s’est trop empêtré dans ses contradictions comportementales et doctrinales pour constituer une alternative. Aziz Rabbah, Mohamed Yatim et autres Lahcen Daoudi se sont trop embourgeoisés pour être encore audibles. Si avec tout ça il n’y a pas de quoi faire…