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Enseignement : l’accord du 26 décembre séduit les bases et déstabilise les coordinations - Par Bilal TALIDI
Les élèves vont-ils enfin retrouver leurs classes ?
L’accord signé le 26 décembre entre le gouvernement et les syndicats de l'enseignement porte en germe un défi majeur en lien avec son aptitude à réconcilier les enseignants avec leurs classes, après une tension soutenue et un décrochage scolaire de plus de deux mois.
La réponse se trouve naturellement dans la teneur de ce nouvel accord en comparaison avec celui du 10 décembre portant sur l’amélioration des salaires des enseignants. Mais il reviendrait à ne pas tenir compte de la complexité du problème si l’on évacue le problème ‘’coordinations des enseignants’’.
N’étant pas partenaires de ce dialogue, parce que statutairement elles n’ont aucune légitimité, elles ont constamment mis en doute les accords conclus et le soir même du 10 décembre, ils avaient enclenché une grève de quatre jours en dépit des accords portant sur des aspects pédagogique et financier du statut des fonctionnaires du secteur de l’éducation.
Nul doute que l’offre du gouvernement, déjà bonne, a été améliorée de manière significative pour avoir, sur le plan pédagogique, mis fin aux appréhensions relatives au statut des enseignants soumis au régime de la fonction publique et clos la polémique sur les missions des enseignants, les heures de travail et les sanctions.
Au plan financier, cette offre comprend une indemnité aux fonctionnaires classés au grade exceptionnel (hors échelle), dont le montant mensuel est fixé à 1.000 dh, à partir du grade 3 au lieu du grade 5, l’amélioration des salaires d’autres catégories de cadres (1.500 dh sur deux ans), et l’octroi d’une indemnité de fonction de 500 dh, outre la résolution complète ou graduelle d’une série de dossiers en suspens comportant des doléances concernant d’autres catégories de cadres.
Dans l'ensemble, ces arrangements constituent une avancée considérable qui ne manquera pas de compliquer la mission des coordinations de convaincre désormais les enseignants de poursuivre une grève qui n’a que trop duré. Le nouvel accord changera sans doute l’avis des bases et poussera les coordinations, soit à chercher des alibis pour suspendre la grève sous prétexte d’acceptation tactique de ces acquis “partiels”, dans la perspective de préparer le prochain ‘’combat’’, soit à sombrer dans l'isolement qui pourrait provoquer leur implosion fatale.
Nombre d’indicateurs révèlent une tension palpable dans le feedback entre les directions régionales et centrales des coordinations avec les bases locales. Visiblement prises de court par la nouvelle offre, les coordinations s’employaient toute la journée de mercredi à recueillir et à digérer les données qui leur parviennent des bases au sujet du vote de la majorité des établissements scolaires en faveur de la suspension du débrayage.
Tout au long de ces grèves, les coordinations ont démontré des points de forces qui leur ont conféré une sorte d’autosatisfaction frisant l’insolence, en raison de la confiance en la capacité de la direction centrale à assurer la mobilisation avec des taux toujours élevés de participation aux débrayages.
Puisant leur force dans leur jeune expérience et dans la confiance dont elles ont été créditées pour ne s’être pas mouillées dans des négociations avec le gouvernement ou le ministère de tutelle, elles ont bâti leur légitimité sur un discours victimaire accusant les syndicats de compromissions, d’opportunisme, de clientélisme et de se servir des causes des salariés à des fins électoralistes. En raison de leur indépendance, leurs revendications et mots d’ordre ont été affranchis de toute pesanteur ou coût politique, tandis que leur souplesse organisationnelle a favorisé l’adhésion d’enseignants déjà affiliés aux centrales syndicales.
Dans la foulée, elles ont échafaudé une structure pyramidale, démocratique et spontanée qui leur a permis d’élargir leur représentativité et leur domination sur le corps enseignant. Mettant à profit des leviers de communication très efficaces, elles ont continué d’agir comme des groupes de pression qui mènent et décident, de l’extérieur, du sort des négociations.
Visiblement obnubilées par cette toute nouvelle puissance, elles n’ont pas su tirer le meilleur parti de leurs points forts et sont tombées dans des erreurs qui expliquent en partie le fossé qui sépare, aujourd’hui, la direction centrale plutôt prompte à poursuivre le combat, et les bases qui cherchent à suspendre la grève. C’est que ces coordinations ont, dès le départ, manqué de visibilité stratégique et tactique pour avoir porté très haut le plafond des revendications, sans que leur gestion du combat n’ait fait de distinction entre les objectifs ou préciser de lignes rouges sur ce qui est négociable et ce qui ne peut l’être.
Ainsi, elles n’ont réagi aux accords conclus que pour leur opposer un rejet catégorique, sans pour autant fournir de contre-argument ou de commentaire critique, apparaissant comme cherchant seulement le pourissement. Tant est si bien que leur position s’est engloutie dans un épais brouillard de confusion quant à savoir si l’objectif suprême du combat consistait uniquement à « l’intégration des cadres des Académies régionales d’éducation-formation dans la fonction publique ».
Il en va de même du déficit de communication interne, d’abord avec les enseignants pour les convaincre que les négociations n’ont rien apporté de nouveau, puis avec les élites et ensuite avec les familles concernées par l’éducation de leurs enfants. Dans toutes les sorties médiatiques, les dirigeants des coordinations n’ont cessé de ressasser cette position qui frise le nihilisme et d’accuser invariablement les syndicats de marchander les intérêts du corps enseignant, pendant que les familles n’arrivaient plus à comprendre ce que les coordinations revendiquaient au juste, surtout après l’amélioration des salaires en vertu de l’accord du 10 décembre, l’abrogation des sanctions et le maintien des heures de travail des enseignants, de leurs missions et de leur statut antérieur.
Les coordinations ont fini par donner l’impression de ne pas avoir une perception claire des fonctions de l’acte contestataire et des limites du discours populiste. N’ayant pas précisé d’objectifs au départ, incapables de dire si elles ambitionnent de siéger en tant que partenaire dans la table des négociations ou de servir de force de pression de l’extérieur, elles n’ont pas pu se débarrasser de la rhétorique populiste primaire qui a marqué les premières phases de la mobilisation et de l’extension du mouvement.
Ce discours a jalonné toutes les étapes délicates où la prise de décision devait être dictée par l’évaluation des acquis, au risque de s’aliéner l’adhésion de larges catégories unies de par leur composition sociologique d’abord et surtout par des intérêts matériels.
A cela s’ajoute l’expertise limitée des coordinations à mener des combats de longue haleine, comme en témoignent leur incapacité à traduire la forte pression qu’elles ont exercée en outil tactique de négociation susceptible d’immuniser les acquis. En lieu et place, elles sont restées immuablement agrippées aux mêmes revendications de départ, au moment où les promesses des accords conclus constituaient déjà un défi séducteur pour nombre de catégories d’enseignants.
En définitive, les coordinations semblent avoir sous-estimé l’expertise de l’Etat en matière de dialogue et de démantèlement des structures de contestation. Elles ont mal calculé les circonvolutions prises par ce dossier et comment ses fluctuations ont impacté la méthodologie de travail, la nature des acteurs et la teneur de l’offre du gouvernement, au moment où les coordinations, prisonnières de leur bulle utopique, étaient toujours grisées par les taux élevés des grévistes, ne pouvant se rendre compte de l’attrait qu’exerçait l’offre gouvernementale sur les grévistes. .