chroniques
Eric Zemmour ou La Libre Parole
Avec sa phrase fétiche « à Rome, fais comme les Romains », Zemmour crie, à qui veut l’entendre, que les Arabes sont inassimilables et que les Noirs, en plus d’être délinquants, sont un fantasme viril
Eric Zemmour vient de gagner son procès contre I télé (50.000€). Il vient aussi, avec l’éclatante victoire de Fillon de perdre, non pas une occasion de se taire, mais d’éviter de jouer l’oracle. Au mois de juin dernier, il prédisait à François Fillon un score de 3%. Dimanche soir, la gifle fut magistralement plus près de 70%. Et ce n’est pas la première fois. Dés qu’il veut jouer sa madame Irma, Zemmour se goure. En 2010, il promettait pour le parti socialiste l’abîme, aux présidentielles de 2012. L’élection de François Hollande l’a désavoué de manière cinglante.
En France, Eric Zemmour (oui, oui comme Azemmour) n’est pas n’importe qui. N’en déplaise à sa posture victimaire d’être à la marge du système, il en est l’un des plus féconds rouages. Editorialiste prolifique, il est tout-puissant et frise l’ubiquité. Qu’on en juge : Il est au Figaro et au Figaro Magazine. Il a micro ouvert, deux fois par semaine sur RTL, la radio la plus écoutée de France. Il plastronne sur une chaine française, dans un talk-Show hebdomadaire co-animé avec son compère de toujours, Eric Nolleau. Il touche ainsi des millions de Français. Et le public le lui rend bien. Il le plébiscite. Ses publications, un livre tous les un ou deux ans sont, surtout depuis Le Suicide Français (2013), de vrais bestsellers. Dire qu’il est incontournable dans le débat public est une évidence.
Avec une passion dévorante pour la chose politique, il a fait, dans un premier temps, une carrière de journaliste besogneux dont on retient quelques livres sur Chirac et sur la droite. Ce n’est qu’à partir de 2006, grâce à Laurent Ruquier, qu’il va déployer ses capacités de polémiste et de provocations qu’il manie avec un certain talent et même un talent certain. C’est le triomphe de l’infotainement grâce à quoi, il devient le chef de file des pourfendeurs du politiquement correct. Il est aidé en cela par le jaillissement du buzz qui accompagne la propagation des réseaux sociaux et leurs capacités virales.
Depuis dix ans donc, il tient le devant de la scène. Avec les mêmes obsessions. Vendeur de la peur, et à la criée s’il vous plait, il se targue de dire tout haut ce que la majorité murmure. Ses thèmes de prédilection: le féminisme qu’il abhorre et qu’il accuse de la dévirilisation du mâle occidental. 1968 qu’il accable de tous les maux responsables du déclin de la France. La société multiculturelle produit de l’antiracisme bobo et criminel. Avec sa phrase fétiche « à Rome, fais comme les Romains », il crie, à qui veut l’entendre, que les Arabes sont inassimilables et que les Noirs, en plus d’être délinquants, sont un fantasme viril. Ces hordes préparent le grand remplacement du peuple, marotte empruntée à Renaud Camus. Elles sont mieux loties que les petits blancs de la France périphérique révélée par Christophe Guilluy. Enfin, la der des ders de ses hantises, l’Islam qu’il accuse de « lancer un défi à la civilisation européenne sur sa propre terre d’élection ». Les attentats de 2015-2016, qui ne sont que les prémices d’une guerre civile qui s’annonce, sont du pain béni pour valider ses prévisions apocalyptiques.
Jusqu’à là, pour lui, l’échéance de 2017 devrait immanquablement se jouer sur les questions d’identité, la nation et la radicalité. A ses yeux, même Marine Le Pen est tombée dans la mollesse en se trompant de combat et d’époque. La demande de souveraineté frontiste est, pour lui, en décalage avec la demande d’autorité et d’identité. Obnubilé par sa guerre civile en gestation, il n’a pas vu venir la victoire du « géopoliticien de la Sarthe », expression méchante de Sarkozy pour moquer son premier ministre d’alors. Or le vote populaire, au premier tour, a disqualifié le vote populiste dont Sarko se voulait, le temps d’une campagne, la figure allégorique. Mercredi soir, Zemmour reconnaît s’être trompé de pronostic. Jeudi matin, il se fend d’une chronique infâme. Il y reprend à son compte l’expression par laquelle les racistes ont rebaptisé Alain Juppé en Ali. Il convoque comme pièce à conviction les bonnes relations que Juppé entretient avec l’imam de sa ville, le franco-marocain Tariq Oubrou. « C’est Ali Juppé, dira-t-il, qui a perdu la primaire, l’homme de l’identité heureuse, d’un multiculturalisme qu’il voulait croire pacifié, des accommodements raisonnables avec l’Islam ». Nauséeux. En deux temps trois mouvements, Juppé se voit personnifier toutes les obsessions de Zemmour.
A ma connaissance La Libre Parole, c’est Edouard Drumont. Et c’est loin d’avoir quelque chose avec la liberté d’expression.