chroniques
Gaza : derrière l’effroi, le cynisme et la faillibilité – Par Naïm Kamal
Rassemblement de soutien à Gaza dans la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée, le 9 octobre 2023. Israël a pilonné sans relâche la bande de Gaza au début du 9 octobre, alors que les combats avec le Hamas faisaient rage autour de la bande de Gaza et que le bilan de la guerre contre les combattants palestiniens dépassait les 1 100 morts (Photo Zain JAAFAR / AFP).
Par Naïm Kamal
On ne sait plus comment qualifier pour Israël ce qui s’est passé ce 7 octobre. Pearl Harbor, en référence au bombardement japonais de la base navale américaine dans le Pacifique. Le 11 septembre israélien, en référence aux attaques contre les tours jumelles de Manhattan, en espérant que l’opération de Hamas contre le sud israélien ne se termine pas pour les Palestiniens comme se sont terminés Pearl Harbour pour les Japonais ou le 11 septembre pour l’Afghanistan et l’Irak. Même si depuis 75 ans la situation des Palestiniens n’a rien à envier à celle des Irakiens après les deux guerres du Golfe (1990 et 2003).
Ce qui est certain pour l’instant et sur lequel tout le monde s’accorde, c’est que les événements de ces trois derniers jours équivalent pour les Israéliens à un séisme. Ils remettent en cause la suprématie militaro-technologique d’Israël, le mythe de l’efficacité de ses Intelligence Services, et démontrent en définitive ce qui est bien plus qu’une évidence, un truisme : Nul n’est infaillible. Tel-Aviv se doutait-il qu’un jour pareille explosion se produirait ? Probablement. Présumait-il de sa puissance avérée pour ne pas être pris en défaut ? Sans doute aucun.
Et cet ébranlement de l’image de puissance d’Israël fait craindre des réactions en chaine pour atteindre ce dont rêve, du moins l’aile extrémiste du pouvoir israélien ; un nettoyage ethnique en règle pour qu’enfin le ‘’peuple élu’’ puisse s’étendre comme il l’entend sur l’ensemble du territoire palestinien. C’est l’objectif que la grande majorité des Israéliens caresse ostentatoirement depuis la défaite des armées arabes de juin 1967. C’est encore pour l’atteindre que le héros des guerres israéliennes, le général Itzhak Rabin, a été assassiné en novembre 1995 des mains de ‘’l’extrême droite’’ israélienne au cours d’un rassemblement pour la paix afin de stopper net le processus des accords d’Oslo.
Ce qui n’absout pas le Hamas de sa toxicité.
Mais si le mouvement islamiste apparenté Frères Musulmans, a prospéré au point d’effacer des mémoires la légendaire OLP de Yasser Arafat, c’est aussi parce que Tel-Aviv, et avec Tel-Aviv Washington, l’ont voulu. Au point qu’une mission américaine, conduite par Carter Center, de l’ancien hôte de la Maison Blanche Jimmy Carter, a été dépêchée pour superviser les élections législatives palestiniennes de 2006 dans les territoires palestiniens et s’assurer de sa victoire en vue de briser l’unité, déjà difficile, des mouvements palestiniens et en finir avec ce qui reste de l'OLP, diminuée par l’échec patent d’Oslo.
Une fois majoritaire, Hamas a été déclaré mouvement non grata parce qu’on le découvrait subitement terroriste. Depuis, les négociations israélo-palestiniennes pouvaient mouliner pour qu’à chaque fois tourner court. Alors les guerres israélo-palestiniennes ont commencé à se succéder et à se ressembler dans l’horreur : 2008,1.440 Palestiniens et 13 Israéliens meurent. 2012, assassinat du chef militaire du Hamas Ahmad Jaabari, suivi de huit jours de frappes aériennes, 174 Palestiniens et 6 Israéliens y laissent la vie. 2014, I ‘opération "Bordure protectrice’’ fait 2.251 morts palestiniens, 74 israéliens. 2021, 232 morts palestiniens et 12 israéliens. Et pas plus tard que mai 2023, 35 Palestiniens, dont des dirigeants du Jihad islamique, sont éliminés en cinq jours de guerre. Faut-il aussi donner les morts des incursions dans Jénine en septembre de la même année.
On n’oublie dans ce sombre bilan, par souci de raccourci, le règne d’une vie plus précieuse qu’une autre, le nombre de morts dans les opérations ponctuelles pour déloger des ‘’terroristes’’, les exactions quotidiennes et leurs lots d’humiliations, les blocus et leur étouffement, la colonisation et ce qu’elle exprime de la volonté d’Israël d’asphyxier l’espace de vie des Palestiniens. Avec un tel paysage de désolation, on n’a pas besoin d’avoir des atomes crochus avec Hamas pour comprendre que le mouvement islamiste et bien d’autres n’ont aucune difficulté à trouver dans les populations palestiniennes des candidats à pareille opération manifestement suicidaire, tombant à point nommé pour ressouder une société israélienne qui voyait émerger de ses tréfonds des fissures sérieuses.
Peut-être que cette guerre a-t-elle été décidée pour sortir la cause palestinienne des abysses de l’oubli. Peut-être également qu’elle obéit à un agenda tiers, l’iranien, par exemple. Peut-être aussi qu’elle conduira la société israélienne à s’interroger sur les politiques de ses dirigeants. Peut-être encore qu’elle arrange, une certaine Israël qui pense cyniquement, derrière l’effroi affiché, que les victimes de ses guerres sont le prix à payer sur l’autel de son refus du partage et de ses politiques expansionnistes.