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GAZA : QUAND ANTONIO GUTERRES invoque L'ARTICLE 99 DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES – Par Mustapha SEHIMI
Les pouvoirs implicites conférés au Secrétaire général dans l'esprit de l'Article 99 ont été interprétés plus librement pour y inclure le droit d'entreprendre des missions d'établissement des faits, de créer des commissions d'enquête et de proposer ses bons offices ou sa médiation
Voici une dizaine de jours, le 6 décembre, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio GUTERRES, a invoqué l'article 99 de la charte de l'ONU. Que stipule cet article ? Que "le Secrétaire général peut attirer l'attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et la sécurité internationales".
Parmi les cinq articles de la Charte des Nations Unies qui attribuent des fonctions au Secrétaire général, l'article 99 se distingue comme le pilier essentiel lorsqu'il s'agit de traiter des menaces potentielles à la paix et la sécurité, telles que le conflit israélo-palestinien actuel.
Il a ainsi appelé, dans une lettre officielle, les membres du Conseil de sécurité sur l'effondrement du système humanitaire à Gaza, l'impossibilité d'acheminer de l'aide et leur demande de faire pression en faveur d'un cessez-le-feu humanitaire.
L'article 99 a établi définitivement que le Secrétaire général n'est pas seulement le plus haut fonctionnaire de l'Organisation, mais qu'il est également habilité à prendre des initiatives politiques pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Dans la pratique, l'Article 99 a été invoqué à propos d'affaires qui, de l'avis du Secrétaire général, constituaient une menace directe ou imminente contre la paix et la sécurité internationales. Cela dit, les Secrétaires généraux qui se sont succédé ont rarement invoqué, expressément ou implicitement, l'Article 99.
Pouvoirs implicites
Les pouvoirs implicites conférés au Secrétaire général dans l'esprit de l'Article 99 ont été interprétés plus librement pour y inclure le droit d'entreprendre des missions d'établissement des faits, de créer des commissions d'enquête et de proposer ses bons offices ou sa médiation. Au cours de la période étudiée, le Secrétaire général a été encouragé à faire usage des droits que lui confère l'Article 99. L'étape la plus importante à cet égard a été l'approbation en 1991, par l'Assemblée générale, de la Déclaration concernant les activités d'établissement des faits de l'Organisation des Nations Unies en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales, suite aux débats intensifs du Comité spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de l'Organisation.
Au paragraphe 28 de la Déclaration, l'Assemblée générale a expressément encouragé le Secrétaire général à faire usage des droits que lui confère l'Article 99 lorsque le suivi de l'état de la situation mondiale touchant la paix et la sécurité internationales lui permettait de donner rapidement l'alerte si des différends ou des situations risquaient de menacer la paix et la sécurité internationales. À cette fin, l'Assemblée a, au paragraphe 29, également encouragé le Secrétaire général à étudier la possibilité d'améliorer ces moyens. Au paragraphe 7, l'Assemblée a déclaré que les missions d'établissement des faits pouvaient être entreprises par le Conseil de sécurité, l'Assemblée générale et le Secrétaire général dans le cadre de leurs compétences respectives en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, conformément à la Charte: Le paragraphe 12 précisait que le Secrétaire général devrait veiller particulièrement à ce que les capacités d'établissement des faits de l'Organisation des Nations Unies soient utilisées à un stade précoce, de façon à contribuer à la prévention des différends et des situations. Au paragraphe 13, l'Assemblée encourageait le Secrétaire général à entreprendre, de son propre chef ou à la demande des États concernés, une mission d'établissement des faits lorsqu'il existait un différend ou une situation; et au paragraphe 14, il lui était recommandé d'établir et de tenir à jour une liste d'experts de diverses disciplines auxquels on pourrait faire appel pour prendre part à des missions d'établissement des faits et aussi de mettre en place et de perfectionner des moyens d'action pratiques permettant d'organiser d'urgence des missions d'établissement des faits.
Le Manuel sur le règlement pacifique des différends entre États, approuvé par l'Assemblée générale dans sa résolution 46/59 du 9 décembre 1991, a expressément mentionné aux paragraphes 373 et 374 les compétences conférées au Secrétaire général par l'Article 99. Le paragraphe 373 s'est explicitement référé à l'utilisation effective des compétences reconnues au Secrétaire général en vertu de l'Article 99 aux fins du règlement pacifique des différends et le paragraphe 374 a donné des exemples de l'action menée par le Secrétaire général à ce titre.
L'ancien Secrétaire général, Dag Hammarskjöld (1953-1961) insistait sur le caractère singulier de l'article 99, car il implique que le Secrétaire général passe du statut d'un fonctionnaire purement administratif en un fonctionnaire doté d'une responsabilité politique explicite. «La responsabilité que la Charte confère au Secrétaire général exigera l'exercice des plus hautes qualités de jugement politique, de tact et d'intégrité », indique le rapport de la commission préparatoire de l'ONU. L'article 99 est rarement invoqué, et encore moins souvent de manière explicite. La première fois que l'invocation implicite de l'article 99 a conduit à une action immédiate du Conseil a été suite à la lettre de Hammarskjöld du 13 juillet 1960 demandant une réunion urgente du Conseil de sécurité sur le Congo, actuelle République démocratique du Congo.
Bien qu'il ne se soit pas référé spécifiquement à l'article 99, le Secrétaire général en a utilisé les termes lorsqu'il a déclaré : « Je dois porter à l'attention du Conseil de sécurité une question qui, à mon avis, peut menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». À l'issue de cette réunion, le Conseil a autorisé le lendemain le déploiement d'une opération militaire des Nations Unies pour aider le gouvernement congolais à contrer la rébellion Katangaise.
Conseil de sécurité: nécessité d'une alerte rapide
La nécessité d'une alerte rapide en cas de crise internationale est un défi perpétuel pour le Conseil de sécurité. En 1985, lors d'une réunion sur la responsabilité du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, le Secrétaire général Javier Pérez de Cuellar (1982-1991) soulignait déjà que « les crises étant souvent portées à la connaissance du Conseil trop tard pour qu'il puisse prendre des mesures préventives, il semble logique que le Conseil établisse une procédure de surveillance continue du monde afin de détecter les causes de tension naissantes ». Le Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali (1992-1996) a élaboré, lui, l'Agenda pour la paix, préconisant des processus de diplomatie préventive et un recours à l'établissement des faits par le Secrétaire général pour lui permettre de s'acquitter des responsabilités qui lui incombent en vertu de la Charte, notamment de l'article 99 ».
Bien que la prévention soit souvent un objectif du Conseil de sécurité, elle a été difficile à mettre en œuvre dans la pratique. L'absence de capacité d'alerte rapide, d'analyse des risques et de collecte d'informations a été pointée du doigt, notamment lorsque les Nations Unies n'ont pas réagi au génocide au Rwanda et à Srebrenica en 1994 et 1995.
En 2012, alors que la crise sri-lankaise se développait, l'ONU et le Conseil de sécurité ont de nouveau été critiqués pour ne pas avoir réagi de manière adéquate. Malgré une information informelle au Conseil par le Secrétaire général sur le Sri Lanka, l'absence d'utilisation formelle de l'article 99 a été soulignée, une étape qui aurait pu élever la situation à l'ordre du jour du Conseil de sécurité. Un examen interne de la gestion de la situation par les Nations Unies a souligné que l'absence d'alerte rapide formelle et claire constituait une leçon importante. Le rapport indiquait également que « le Secrétaire général devrait faire un usage plus régulier et plus explicite de son pouvoir de convoquer le Conseil de sécurité en vertu de l'article 99 de la Charte ».
Jamais auparavant, António Guterres n'avait utilisé cet article. Il avait lancé en 2017 un appel à un effort concerté pour éviter une nouvelle escalade de la crise des réfugiés rohingyas dans l'État de Rakhine. Bien qu'il n'ait pas invoqué explicitement l'article 99, il a choisi de porter la situation à l'attention du Conseil, soulignant la nécessité « d'insister sur la retenue et le calme afin d'éviter une catastrophe humanitaire ». Cela a donné lieu à la première séance d'information publique sur le Myanmar depuis 2009, au cours de laquelle le Secrétaire général a évoqué les mesures immédiates à prendre.