chroniques
« J’accuse »
Oui, alors et alors, je ne regrette rien. Mais je ne peux me résoudre à accepter ce que le CCME est devenu. J’entends ne pas être, par mon silence, le complice de cette forfaiture
Les réseaux sociaux et les sites d’information, dont bons nombres font dans le mercenariat journalistique, sont devenus, au Maroc, le repère idéal pour divulguer le chahut et répandre l'avanie. Combien de réputations ont été lâchement et impunément entachées de la sorte. Ainsi et dernièrement, j’étais extrêmement heurté de lire des propos qui étrillent Driss El Yazami, le double président du CNDH et du CCME. Ils sont rapportés et assumés par un homme des médias. Celui-ci s’indigne de la participation de Si El Yazami à un jury de thèse de doctorat alors qu’il n’est même pas titulaire du Baccalauréat. Outre l’évidente volonté de disqualifier un personnage public en invoquant une rumeur qui, somme toute, se chuchote, depuis des années dans les diners de Rabat, il y a lieu de s’interroger sur le sens de cette sortie, sur son auteur et peut-être sur un éventuel timing.
Eludons d’abord un point. Qu’il ait le Bac ou pas, le parcours de Driss El Yazami et ses fonctions le qualifient pour être membre d’un jury d’une thèse de doctorat d’autant qu’elle traite de la question de l’immigration. Il y a d’autres insuffisances qu’on peut reprocher au président du CNDH et du CCME. Pas celle de méconnaître la question migratoire.
Cette sortie éruptive peut s’expliquer, non pas par le sujet mais vraisemblablement par l’auteur de la thèse. Madame Nezha El Ouafi, militante du PDJ, fut une adversaire parmi les plus résolues du CCME que préside encore le même El Yazami. Aujourd’hui ministre, elle n’hésitait pas, hier encore et avec une régularité de métronome, à pourfendre l’institution à coup de remontrances mensongères. Le zèle avec lequel le président du CNDH et du CCME a salué cette thèse et son auteure a dû déplaire quelque part. Car cet enthousiasme peut s’entendre comme un opportunisme caractérisé, voire une compromission, si ce n’est qu’il est déjà révélateur d’un fait : Ce n’est pas madame El Ouafi, crypto-islamiste, qui s’est normalisée. C’est bien Driss El Yazami qui a changé.
Mais, et c’est là le plus tragique, il y a l’incroyable outrecuidance de l’auteur même de la critique adressée au président du CNDH et du CCME. Le dénicheur de la soi-disant « imposture » est un collaborateur du CCME, grassement payé pour son entregent médiatique. C’est donc un salarié de Driss El Yazami qui s’autorise le luxe de pourfendre son président. Cocasse non ? Même s’il est notoire que El Yazami ne gère plus rien au CCME depuis 2011, il continue (en tous les cas jusqu’à mon départ en octobre 2015) à toucher sa rétribution de président. Le détracteur, salarié de son président, piétine donc, et avec ses deux pieds, le minimum requis qu’est le devoir de réserve. Il ne respecte même pas les formes. C’est très grave docteur ! Sans oublier que la forme, c’est toujours le fond qui remonte à la surface qui, en la circonstance, est misérable.
Plus grave encore. Ce monsieur est un affidé de Boussouf, secrétaire général du CCME. Il fait partie de cette escouade d’obligés, tous recrutés parmi les amis des années de jeunesse à Oujda et provenant de la même région. En plus d’être la manifestation d’une dérive communautariste, ils obéissent au doigt et à l’œil à un « capitaine de pédalo » à la tête d’un bateau ivre qui navigue à vue et d’une institution en léthargie avancée. Ce sont eux qui lui écrivent tous ses discours et ses abondants articles dignes d’un esprit encyclopédique. Car, et en vérité, le « docteur » Boussouf ne sait pas écrire. Pas plus que El Yazami d’ailleurs. Ils ont tous les deux besoins de nègres. C’est dur d’imaginer donc, un seul instant, que l’initiative de Saïd el Khoumssi, puisque c’est de lui qu’il s’agit, soit personnelle et sans l’approbation de Boussouf. Parce qu’il ne faut pas s’y tromper. Sous ses apparences de bonhommie, Si Abdellah marche de biais comme les crabes. Avec la complicité d’une partie des membres totalement chloroformés et dévitalisés, il se complait dans un exercice solitaire du pouvoir au point de devenir le maestro de la purification d’une institution, devenue entre temps, constitutionnelle et l’infirmier en chef de son agonie. Une institution désormais transformée, par sa grâce, en un nid de frelons. C’est cette bauge de gloutons sans scrupules qu’est devenu le CCME où toute personne, encore éprise d’un certain idéal, n’a le choix qu’entre se salir ou disparaître, que j’entends dénoncer ici.
La responsabilité première de cette banqueroute institutionnelle revient à Driss El Yazami lui-même. Elle se retourne aujourd’hui, comme un boomerang, pour le frapper en dessous de la ceinture. C’est lui, au nom de nos combats partagés naguère, que j’accuse en premier. Dans un mélange de veulerie et de management courtisan, il a manqué d’audace et de hauteur pour faire de cette institution un fleuron au service de Sa Majesté et des Marocains du monde. Lui et le secrétaire général, usant du dahir royal comme d’un airbag, ont illustré parfaitement le principe de Peter : celui qui nous enseigne que lorsqu’un dirigeant atteint son niveau d’incompétence, il se met spontanément à inventer des substituions à l’activité, avec manipulation et corruption des âmes, pour ne pas avoir à affronter l’odieuse vérité de sa propre incompétence.
Même, si la mort dans l’âme, j’étais poussé et, je dirais sommé, de négocier mon départ en tant que salarié, je suis encore membre du CCME. Cette maison pour laquelle j’ai consacré dix ans de ma vie, au prix de plusieurs sacrifices surtout au détriment de ma vie de famille. Je ne regrette rien. L’enthousiasme, prodigué autrefois par Si Driss Benzekri, Si Mohamed Berdouzi et Si Ahmed Herzni, était, pour le membre du CCDH que j’étais, un motif d’abnégation et de dévouement pour aider, à mon modeste niveau, à la concrétisation d’une commande royale de Sa Majesté que nous avions vécue comme un honneur. Oui, alors et alors, je ne regrette rien. Mais je ne peux me résoudre à accepter ce que le CCME est devenu. J’entends ne pas être, par mon silence, le complice de cette forfaiture.