chroniques
JACQUES DELORS : UN CAS D’ECOLE POUR L’INTEGRATION DU GRAND MAGHREB - Par Mohammed Mohattane
Même si, semble-t-il, l’histoire ne rappasse pas les plats, l’initiative marocaine d’ouvrir aux pays de la bande sahélo-saharienne enclavée une porte sur l’Atlantique, est une seconde chance et une sérieuse tentative
Le décès de Jacques Delors a été l’occasion pour le Chef de l’Etat français, les personnalités politiques françaises et plusieurs dirigeants européens de saluer la mémoire d’un homme qui a réconcilié véritablement la France avec l’Europe et l’Europe avec son avenir.
Un visionnaire qui a contribué à dessiner, trait par trait, le visage de l’Europe d’aujourd’hui
Ce grand militant de l’intégration de l’Europe ne se lassa jamais, son bâton de pèlerin à la main, d’explorer en éclaireur les voies ouvertes et les chemins de traverse pour réconcilier, élaborer des alternatives, bâtir des ponts.
A la tête de la Commission de 1985 à 1995, il est le Père de l’euro, qui a aussi mis en place le marché unique, engagé la signature des accords de Schengen, réformé la Politique Agricole Commune, mis en chantier l’union économique et monétaire, qui aboutira à la création de cette monnaie unique qui fait la fierté et la force de l’Europe occidentale. En 1987, il lança le programme Erasmus (EuRopean Action Scheme for the Mobility of University Students); un Programme d'action européen pour la mobilité des étudiants, du nom du moine humaniste et théologien néerlandais Érasme (1466-1536), qui a voyagé durant de nombreuses années à travers l'Europe pour s'enrichir des différentes cultures et développer son humanisme.
Une centaine d’étudiants du programme Erasmus venus de toute l’Europe étaient présents à cet hommage national.
Le Roi Mohammed VI, alors Prince héritier en stage doctoral dans le cabinet de Jacques Delors à Bruxelles.
Après avoir obtenu en 1985, sa licence en Droit et son diplôme en Science politique, et afin de compléter sa formation, SM le Roi Mohammed VI, alors prince héritier, effectua en novembre 1988 un stage de quelques mois à Bruxelles dans le cabinet de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne. En 1993, il obtient le titre de docteur en Droit à l’Université de Nice Sophia Antipolis pour sa thèse sur « Les relations CEE-Maghreb ».
Un choix de sujet de thèse qui témoigne du profond attachement du Souverain et du Maroc à l’unité maghrébine ; un idéal et un rêve des peuples du Grand Maghreb, qui a bercé les nationalistes avant et après les indépendances aussi bien qu’il continue de constituer une grande aspiration des générations actuelles.
Un vaste espace géopolitique sahélo-saharien-Atlantique innovateur en gestation
Depuis que le Royaume a récupéré ses Provinces du Sud, sa vocation de pays atlantique s’est encore affirmée, une vocation que la politique africaine du nouveau Règne ne cesse de conforter et de consolider.
Si, par sa façade méditerranéenne, le Maroc est solidement arrimé à l’Europe, son versant atlantique lui ouvre un accès complet sur l’Afrique et au large, vers le monde sud-américain et vers la côte est de l’Amérique du nord.
Une donne stratégique pour laquelle le Maroc est déterminé à entreprendre une mise à niveau nationale de son littoral atlantique de Tanger à Lagouira. Le port de Dakhla Atlantique, en chantier très avancé, s’inscrit dans cette vision qui a aussi pour objectif de créer un nouvel espace géopolitique régional qui va du fleuve Niger à l'Atlantique. Avec l’attachement fraternel et solidaire du Royaume d’inventer une Sahélo-saharienne-Atlantique Région, qui serait dotée d’une structuration de portée africaine et d’ouverture sur l’économie-monde via l’Atlantique, à travers un maillage de réseaux de transport et de communication fortement et durablement ancrés dans leur environnement régional.
C’est dans cet esprit que l’initiative marocaine d’ouvrir aux pays de la bande sahélo-saharienne enclavée une porte sur l’Atlantique, trouve ses origines. Elle a pour objectif son désenclavement et son arrimage à l’économie-monde. Deux conditions nécessaires pour l’aider à briser le cercle vicieux du terrorisme, du séparatisme, de l’instabilité politique et des guerres fratricides, de la contrebande de tout genre aux ramifications sans frontières régionales et internationales.
Car la sortie de cette région sinistrée du bourbier infernal de la sécheresse, de la pauvreté et de l’exode climatique vers l’autre rive, ne peut être exclusivement sécuritaire ou militaire ; elle doit s’appuyer aussi et surtout sur une approche de coopération et de codéveloppement. Ces nations sahélo-sahariennes sont riches de leur pauvreté, de leur fierté identitaire et nationale, et sûres et confiantes de leurs potentialités humaines et naturelles.
« Notre souhait est que la façade atlantique devienne un haut lieu de communion humaine, un pôle d’intégration économique, un foyer de rayonnement continental et international. » Ce passage du Discours Royal à l’occasion du 48ème anniversaire de la Marche Verte, le 6 novembre 2023, dit combien le Maroc est resté fidèle à sa vocation naturelle et séculaire de corridor entre l’Europe et l’Afrique et de trait d’union entre le Machrek et le Maghreb.
L’Afrique au sud du Grand Sahara n’est pas seulement une vocation du Royaume mais aussi sa raison d’être, comme le rappelle la célèbre allégorie de Feu SM Hassan II, comparant le Maroc à un arbre qui a ses racines nourricières en Afrique et qui respire par son feuillage bruissant aux vents de l’Europe.
Telle a toujours été l’histoire du Maroc et les dynasties qui se sont succédées à la tête du Royaume ont bien su appliquer ce principe de Napoléon qui rappelle que « la politique d’un pays est dans sa géographie ».
Une fois devenu un Etat central, à cheval entre l’Afrique et l’Europe, le Maroc a fait de son destin géographique un moyen d'ouverture sur l’universel ; il n'a ainsi jamais cherché à profiter ou exploiter sa rente géographique comme une carte à jouer pour prélever des rentes exorbitantes ou négocier des royalties extravagantes aux marchands en transit entre le Continent Noir et le Vieux Continent; un chantage mercantile de courte vue qui l’aurait condamné à l’autarcie.
Des siècles durant, dans l'échange comme dans la compétition, cette « Chine d’Occident », a lié son histoire au commerce et aux échanges humains, culturels, spirituels avec l’Afrique au sud du Sahara. Au plus fort moment de son existence, c’était un empire qui se ressourçait dans ses prolongements africains.
Du temps de la grande dynastie Almoravide, venue du fond du Sahara, le Maroc commença par construire les routes caravanières et les voies de circulation, contribuant déjà à cette époque à tracer les contours du monde méditerranéen, qui des siècles durant était le centre de l’économie-monde.
Ainsi, les caravanes commerciales sillonnaient les déserts entre le Maroc et l’Afrique au sud du Sahara, comme des pirogues entre les rives d’un lac, en permettant le développement du mythique commerce transsaharien, florissant entre la côte d'Or africaine, Tombouctou, Tindouf, Gao, Chinguett et Marrakech, Sijilmassa, Mogador, Mazagan et Sebta.
C’est dire que l’initiative du Maroc de mettre le territoire de ses provinces du sud récupérées, ses infrastructures de communications et sa logistique de transport, au service des pays de la bande sahélo-saharienne n’a de rien d’opportuniste ou de calcul géopoliticien, mais une décision souveraine dictée par les liens historiques, les sentiments de solidarité, la réalpolitique et de destin commun face aux défis de la stabilité régionale et de la déferlante mondialisation.
L’hommage national à la mémoire de Jacques Delors est légitimement une occasion pour nous Maghrébins de nous dire que le Grand Maghreb, s’il a eu la chance d’avoir parmi ses élites un visionnaire de la trempe de ce ‘’maçon de l’Europe’’, ses composantes n’ont pas malheureusement répondu de la même manière à ce grand dessein. Et aujourd’hui encore l’offre marocaine d’ouverture de l’Atlantique à la bande sahélo-saharienne , en explorant les pistes d’intégration du Sahara oriental (du côté algérien et marocain), pour l’arrimer au projet géopolitique en marche, rencontre sur son chemin les mêmes résistances et les mêmes désastreuses méfiance, pour ne pas parler d’autre chose.
Une occasion qui donne pourtant à l’Algérie l’opportunité géostratégique l’Algérie d’avoir enfin ‘’son accès’’ à l’Atlantique tant convoitée, à travers les provinces du sud marocaines récupérées, pour concrétiser l’esprit constructif qui avait conçu le projet maroco-algérien d’exploitation commune des richesses minières de Gharet Jbilet, près de Tindouf, que l’on retrouve dans la convention relative au tracé de la frontière d’État (Rabat, 15 juin 1972).
Pour rappel, dans la foulée de la signature de cette convention en 1972, le Maroc et l’Algérie ont également signé, à la même date, une «Déclaration algéro-marocaine de Rabat» et une convention de coopération pour la mise en valeur des gisements de fer de Gharet Jbilet.
L’idée de la coopération pour la mise en valeur de ce projet de Gara-Djebilet, au-delà de son soubassement politique, est née d’un double constat :
-
Gharet Jbilet est un gisement de minerai de fer à ciel ouvert dont les réserves sont estimées à plus de 3 milliards de tonnes. L’éloignement de la côte méditerranéenne (plus de 1300 kms) exigerait des investissements considérables en termes d’infrastructures de transport et de durée du trajet qui amoindriraient la rentabilité de l’exploitation de la mine ;
-
La proximité de la côte atlantique du Maroc (moins de 300 km) rend possible et moins couteux l’évacuation et l’embarquement du minerai de fer par un port marocain, pouvant être Sidi Ifni ou Tan Tan.
Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts au nord et au sud du Grand Sahara. Et même si, semble-t-il, l’histoire ne rappasse pas les plats, l’initiative marocaine d’ouvrir aux pays de la bande sahélo-saharienne enclavée une porte sur l’Atlantique, est une seconde chance et une sérieuse tentative de corriger les travers du passé par la projection dans l’avenir