chroniques
Le Momentum africain (1/2) – Par Eugène Ebodé
Le Roi Mohammed Vi au Sommet de l’UA le mardi 31 janvier2017 à Addis-Abeba
En publiant le recueil de contes, Grand-père Ouidi au Sahel, dans la nouvelle maison d’édition Africamoude, créée à Rabat cette année par Dr Rabiaa Marhouch et Dominique Nouiga, à quel destin ai-je voulu adosser cette petite chose littéraire ? À celui de l’Afrique qui lit et, surtout, à la jeunesse africaine qui s’impatiente. Conter, c’est convoquer le passé le plus ancien pour bâtir le présent le plus inspirant et, partant, pour s’avancer vers le futur muni de solides références en forme de boussoles. L’Afrique jouera, telle est ma conviction, un rôle de plus en plus décisif dans la marche du monde. Son poids démographique l’exigera, la remobilisation de ses savoirs comme leurs redistributions à l’échelle continentale l’y conduira. Le conte est l’un des vecteurs de cette puissance en gestation.
Le rôle du conte
« Au commencement de tout pouvoir d’influence était le conte… » Telle pourrait être l’incipit ou la formule introductive pour synthétiser la manière dont le corps social africain est entré en littérature, il y a des millénaires. Le souffle des oracles, diffusant ce que j’appellerais la ferveur des mythes et la splendeur des légendes, transita par l’oralité avant de se répandre dans l’écrit. Grand-père Ouidi au Sahel appartient aussi à cette mutation, même si ce livre est aussi le produit de circonstances qui ne relèvent pas seulement de l’espace littéraire, mais de préoccupations géopolitiques.
A - Les éléments purement littéraires
-
Le choix du genre littéraire particulier qu’est le conte obéit certes au narratif, plus vaste, qui mobilise le roman, la légende, la fable, la nouvelle, l’épistolaire, l’essai voire le pamphlet, mais aussi la BD, etc.
-
Le public visé : à travers le conte, j’ai cherché à m’adresser aux enfants, aux adolescents, mais aussi aux adultes. Ce recueil est donc clairement une offre de lecture à la jeunesse africaine en particulier et, bien sûr, au lectorat mondial en général. Éveiller sa curiosité autour d’un territoire géographique, le Sahel, sur lequel sont braqués les projecteurs de l’actualité m’a semblé une préoccupation utile.
B - Les préoccupations géopolitiques
Elles sont identifiables à partir d’un lieu, le Sahel. Il signifie en arabe le rivage ou la bordure. Il est en effet bordé par le Sahara au Nord et la savane au Sud ; il s’étend aussi d’ouest en est de la côte Atlantique à la mer Rouge. Il présente également la caractéristique d’être soumis à une actualité sanglante ou institutionnellement instable. Si la Mauritanie, le Sénégal et le Soudan qui en font partie ont un rivage maritime, il n’en est pas de même pour des pays enclavés comme le Mali, le Tchad, le Burkina Faso ou le Niger. Trois considérations ont joué un rôle déterminant dans ce choix géopolitique : le contexte, la perte d’une amie et je pense que la vision inspirante de Sa Majesté le Roi Mohammed VI me conforte dans l’idée que ce livre va dans le sens de l’Histoire.
-
Le contexte est tout aussi important dans l’élaboration comme dans la réception d’une œuvre littéraire que les motivations personnelles de l’écrivain. Ce Grand-père Ouidi, qui nous entraîne dans une remémoration de ses voyages, inscrit son offre narrative dans un espace géographique précis. Il me semblait indispensable de ne pas laisser la chronique sanglante dominer l’actualité des pays du Sahel, réduits au sombre et aux manchettes effroyables des gazettes. Elles tendent souvent à n’insister que sur le tragique de l’existence, délaissant les comptes-rendus sur les cultures enracinées et qui, malgré les orages, se perpétuent bon an mal an, entretenant ou diffusant des savoirs immémoriaux. Il m’a semblé important d’en restituer quelques échos à travers des contes modernes, faisant par exemple parler les ânes de Bamako ou renvoyant au génie des faiseurs de pluie et aux phénomènes irrationnels qui permettaient la manifestation de forces invisibles au moyen de traditions multimillénaires. Écrire, c’est suggérer. Plus que cela, c’est se souvenir.
-
Pour tous ceux qui s’intéressent à la génétique d’une œuvre, je dirais aussi que le choix de cette aire géographique vient d’un drame dont les Marocains se souviennent et les amis de Leila Alaoui aussi. Le titre de ce livre vient en partie de la mort de cette amie marocaine, Leila Alaoui, tombée sous les balles du fondamentalisme violent. C’est de sa fureur d’épouvanter qu’est morte cette photographe de talent le 18 janvier 2016 à Ouagadougou, au Burkina Faso. Je n’ai pas oublié cette photographe et cette militante de la fraternité panafricaine. Elle défendait les migrants, ses frères et sœurs africains, avec une foi et un enthousiasme inébranlables. J’ai eu la possibilité de lui parler longuement en mai 2015 à Tanger lors du festival organisé dans cette ville où elle présentait ses photographies et ses installations vidéo. Elles étaient à la fois des compositions poétiques et esthétiques, mais également des alertes vives, expressives et directes contre l’inertie, des appels pour africaniser et fraterniser. C’était passionnant de dialoguer avec elle sur les divisions absurdes qui brisent inutilement l’Afrique en mille morceaux réputés difficilement conciliables.
-
Recoller les morceaux, c’est la tâche du politique. Sur ce plan, la vision de Sa majesté le Roi Mohammed VI est une chance pour l’Afrique. La récente proposition que le souverain chérifien a émise à l’occasion du 48e anniversaire de la Marche verte, et portant sur l’ouverture de la façade atlantique du Maroc aux pays enclavés du Sahel constitue une offre dynamique d’intégration économique et de renouvellement des coopérations intra-africaines. La relation Sud-Sud est ici prise comme une possibilité sérieuse de redynamisation du panafricanisme. Inverser la courbe du pessimisme et sortir l’Afrique des pièges du fatalisme et autres résignations est ainsi une offre de salut continental.