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Le PJD secoué par le tremblement de terre d’Al Haouz - Par Bilal TALDI
Abdalilah Benkirane, décidément, la retraite lui va mal…
Abdalilah Benkirane, en faisant du tremblement de terre qui a frappé le 8 septembre dernier les provinces d’Al Haouz, une punition divine pour nos péchés individuels et politiques, n’a certainement pas lu la belle chronique du secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, L’Art de se taire. Autrement, il aurait tourné sa langue sept fois dans sa bouche avant de se prononcer. Ce faisant, M. Benkirane, comme à son habitude, a perdu la double occasion de lire et de ne rien dire. Le PJD n’en est pas à sa première sortie de route à ce sujet. Lorsque le tsunami ayant inondé en 2004 les cotes indonésiennes, les islamistes de Benkirane n’avaient pas raté l’occasion de ne pas se taire. Dans cette chronique, Bilal Talidi, un proche de la mouvance, retrace les évolutions intellectuelles du PJD et le cheminement qui a conduit son secrétaire général une fois de plus, une fois de trop, à l’impair. Il explique également ‘’ la grande régression de sa ligne intellectuelle et politique’’.
Beaucoup ont été surpris par le communiqué du Secrétariat général du Parti de la justice et du développement [PJD, islamiste] daté du 24 septembre. Un paragraphe a particulièrement retenu l’attention. Il comporte une lecture biaisée et prétendument religieuse du séisme d’Al Haouz, qui veut cette catastrophe serait une punition divine pour «nos fautes et péchés » aux sens «individuel et politique».
Ceux que le communiqué a offusqués, dont des dirigeants du PJD, ont considéré que ce discours est non seulement inhabituel au sein du Parti depuis l’adoption de «la thèse du combat démocratique», mais choquant.
En vertu de cette thèse, adoptée en 2008, le PJD avait choisi de prendre ses distances d’avec le mouvement prédicateur et de s’en dissocier en termes d’organisation, de structures, de discours et de moyens d’action.
Le PJD s’était donc présenté comme un parti politique avec un référentiel islamique qui fait de la politique avec des moyens politiques. Il avait enfin compris que pour se qualifier à l’exercice gouvernemental et intervenir dans les politiques publiques, il était nécessaire de dissocier, autant que faire se peut, le registre profane de celui du sacré.
Le Parti a, en conséquence, présenté une conception du référentiel islamique, qui ne cadre pas avec celle des foukahas (théologiens), portée par le souci de juger les actes à travers le prisme du licite et de l’illicite selon la charia. Les dirigeants du Parti ont majoritairement perçu le référentiel islamique comme un socle, un point de repère, leur permettant de se concentrer sur la moralisation de la vie publique, la diffusion des valeurs de rectitude, d’honnêteté et d’intérêt général, la réforme et la préservation des ressources de l’Etat, la lutte contre la corruption, la prééminence de l’intérêt général sur les intérêts privés, et la non exploitation de la politique à des fins d’enrichissement privé. C’est peu dire qu’on en est loin.
La recette miraculeuse
En réalité, le PJD ne vient pas juste, avec ce dernier communiqué, d’entamer un retour vers le discours prédicateur. La tangente a été prise dès le premier jour où de comeback de Abdalilah Benkirane à la tête du Secrétariat général lors du Congrès extraordinaire du Parti, au lendemain de la débâcle électorale du 8 septembre 2021.
Alors que tout le monde espérait que son retour allait porter sur le redressement du Parti, résoudre sa crise interne et reprendre l’initiative, la nouvelle direction s’est embourbée dans un fatras de déclarations sibyllines sur la ‘’recette miraculeuse’’ pour réaliser ces objectifs.
Cette recette reposait sur le rejet catégorique du dialogue interne qui, selon lui, ne ferait qu’infecter plus les blessures sans garantie de sortir du traumatisme post-électoral avec des résultats consensuels. Il a, ainsi, l refusé toute idée de réconciliation avec les anciens dirigeants du Parti qui, selon lui, finiraient par rentrer dans les rangs du PJD, une fois le train remis sur les rails. Ce qui le dispensait de chercher à leur concéder des compromis pour les rallier.
Non sans sens des réalités, il a considéré que l’idée d’un éventuel retour du PJD aux prochaines élections est une chimère. Ayant touché le fond, le PJD n’a d’autre choix, pour reprendre son rôle politique, que de se recroqueviller sur la même recette qui a servi de socle à son essor initial.
Le postulat salafiste consistant en «l’attachement au référentiel islamique» qu’affectionne M. Benkirane, lui a servi pour fermer la porte à toutes les initiatives collectives. Sur cette base, il a entrepris une gestion exclusive par le haut aux atours d’une prédication qu’il égrène, au grès d’une série d’enseignements religieux, sous le label : «Un verset du Coran m’a interpellé !»
L’exercice lui permet de s’attarder sur un verset coranique de son choix, en livre son interprétation, évoquant une kyrielle de sujets sans rapport méthodologique, s’arrêtant sur des expériences personnelles et ses méditations propres dans son rapport avec le Saint Coran qu’il tient à partager avec les militants du Parti.
Alors qu’aucune initiative collective institutionnelle n’a été lancée à l’adresse des intellectuels du PJD et de ses forces vives- (au sujet d’une concertation sur l’avenir du Parti, de sa place dans le spectre politique, de sa crise actuelle et des moyens de l’en sortir)-, M. Benkirane aura totalisé, jusqu’au dernier communiqué du Secrétariat général, 82 séances d’enseignement religieux.
Au fil de ses rencontres, tant au Secrétariat général qu’avec les assemblées régionales et provinciales du Parti, s’esquissait la perception qu’a M. Benkirane du rétablissement du parti et résurrection qui passent nécessairement de son point de vue par la revitalisation de sa fonction de prédication.
Certains dirigeants du Parti en désaccord avec leur secrétaire général, estiment que l’homme est passé par une expérience personnelle traumatisante qui a modifié nombre de ses convictions. Ce renfermement sur le strict religieux devrait être perçu comme symptomatique de ce changement, plutôt que comme une cour aux militants déçus par l’ancienne direction ou comme une intention politique et électoraliste.
La responsabilité collective
Sur la forme, le passage controversé relatif à l’interprétation du séisme à l’ouverture des travaux du Secrétariat général du PJD a été cité dans le communiqué comme explicitement celle de M. Benkirane. Ce qui peut signifier qu’elle n’engage que lui et pas le Parti. Mais fait inhabituel, l’allocution de M. Benkirane s’est taillée une part importante dans le communiqué du Secrétariat général au moment où elle devait être condensée et aseptisée de tout ce qui pourrait prêter à confusion, y compris cette interprétation d’une ‘’punition divine par un tremblement de terre pour de supposées fautes individuelles et politiques’’.
Il n’en demeure pas moins que la responsabilité est collective et incombe au Secrétariat général du Parti pour avoir inséré dans son communiqué le passage controversé de M. Benkirane, sachant que le reste du communiqué traduit une complète convergence des vues au sein de la direction du parti.
Il tout aussi légitime de s’interroger sur la pertinence de l’insertion dans le communiqué d’un passage aussi problématique et controversé, ne suscitant pas l’adhésion de l’ensemble du Secrétariat général. Le fait de l’attribuer au secrétaire général, ne diminue en rien cette responsabilité collective. En découle d’autres interrogations : Ce propos est-il porteur d’un message politique à l’adresse d’une cible bien définie ? Est-t-il destiné à déclencher un affrontement en établissant un lien entre péché individuel et péché politique que relèveraient les opérations électorales ?
Les effets secondaires d’un traumatisme
Personnellement, je suis tenté de dire que la pensée de M. Benkirane s’achemine plutôt vers la centralité du discours prédicateur et de sa nécessité pour la refondation du parti. N’a-t-il pas cessé de clamer que ce discours est la clé de voûte de la restauration et de la restitution au parti de son identité et de son référentiel ?
La récurrence de l’interprétation religieuse dans les communiqués du PJD révèle les effets secondaires du traumatisme et la grande régression de la ligne intellectuelle et politique. Elle témoigne aussi d’un recul par rapport à un processus constant de révision et d’autocritique ayant fait, depuis 2008, du PJD un modèle d’inspiration pour nombre d’acteurs politiques dans le monde arabo-islamique, en termes de gestion du rapport entre politique et prédication.
Il ne s’agit pas, aujourd’hui, d’évaluer cette mutation, mais plutôt d’en expliquer les raisons. L’expérience personnelle de M. Benkirane, depuis son éviction de la chefferie du gouvernement en 2017 jusqu’à sa réélection en tant que Secrétaire général du PJD en 2021, a dû profondément troubler sa lecture des événements. Si bien que sa proposition de sortie de crise semble en déphasage totale avec son diagnostic pertinent de la situation interne du Parti. C’est la raison pour laquelle sa thèse paraît si traditionnelle et romantique. Elle est fondée sur le charisme du dirigeant et sur sa capacité à rallier les militants autour de son projet. Mais, outre que ce charisme est quelque peu érodé, contrario, l’approche benkiranienne oublie que les fondamentaux intellectuels et politiques de la doctrine du PJD élaborés en 2008 ont fait leur lit et qu’il serait difficile de les en sortir, fut-ce par un leader charismatique qui a fait les jours glorieux du parti.
Peut-être pour la première fois, les militants du Parti sentiront que leur direction est, par cette interprétation religieuse, devenue déconnectée et isolée, ne jouissant même pas du soutien des membres qui ont assisté à la réunion du Secrétariat général. Peut-être comprendront-ils que le charisme, ou même l’aura historique, loin d’être une condition sine qua none pour revitaliser le parti, en constituent le cruel et chronique dilemme.