Le Rapport de la Cour des comptes révèle entre la gabegie partisane et l’inefficience gouvernementale - Par Bilal TALIDI

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Les partis s’agrippent au soutien de l’Etat, mais rechignent à observer la gouvernance financière qui les oblige moralement à veiller aux deniers publics. Ce qui n’est pas pour consolider leur image ou les qualifier sans suspicion à la gestion des affaires publiques

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Le rapport de la Cour des comptes 2023 interpelle à plus d’un titre la praxis politique au Maroc, à travers ses deux protagonistes principaux (gouvernement et partis politiques), en ce qu’il révèle un paradoxe énorme entre l’essence de la politique et les attentes des citoyens, aussi bien qu’entre la performance et la gouvernance de ces deux acteurs.

La Cour des comptes présente des indicateurs significatifs  sur les finances des partis, leurs comptes annuels et l’engagement de leurs candidats à justifier leurs dépenses électorales, outre des données comptables relatives aux dépenses du soutien fourni aux partis politiques au titre des campagnes électorales.

Il importe, ici, de s’arrêter sur trois indicateurs. Le premier, probablement le plus significatif, précise la relation qu’entretient l’acteur politique avec l’Etat et les limites de l’autofinancement des partis. Le rapport fait ressortir l’incapacité d’autofinancement des organisations participant aux différentes opérations électorales (partis et syndicats) qui s’élève à 31,90 MDH, contre 356,28 MDH de soutien fourni par l’Etat. Ce qui fait qu’ils comptent à plus de 90% de leur financement sur les deniers publics, devenant une charge supplémentaire pour le budget de l’Etat.

Le deuxième indicateur est en lien avec la gouvernance financière et les comptes annuels des partis politiques. Un audit de la Cour des comptes au titre de l’année 2021 indique qu’aucun justificatif n’a été fourni pour des dépenses de l’ordre de 4,77 MDH, tandis qu’un montant de 24,86 MDH des dépenses n’a été justifié par aucun document juridique valable. Autrement dit, près de 10% du soutien de l’Etat aux partis et aux syndicats n’a pas été juridiquement justifié, sans parler d’autres importantes dépenses engagées sans documents justificatifs.

Le troisième indicateur, en rapport avec le degré d’interaction des candidats pour présenter les comptes de leurs campagnes électorales, fait observer que 12% d’entre eux ont failli à cette obligation.

Ces trois paramètres réunis débouchent sur une conclusion commune : les partis s’agrippent au soutien de l’Etat, mais rechignent à observer la gouvernance financière qui les oblige moralement à veiller aux deniers publics. Ce qui n’est pas pour consolider leur image ou les qualifier sans suspicion à la gestion des affaires publiques.

S’agissant de l’acteur gouvernemental, la Cour des comptes a livré d’importantes données dans son évaluation des grands chantiers en cours, dont on ne retiendra pour la commodité du propos que celui des indicateurs en lien avec la mise en œuvre de la généralisation de la protection sociale, du fait que ce projet revêt une importance stratégique de taille pour avoir ciblé, en 2022, l’objectif de 22 millions bénéficiaires supplémentaires de la couverture sanitaire.

Ces indicateurs sont réellement préoccupants, sachant que les données de la Caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS) montrent que, jusqu’à fin septembre 2023, à peine 1,87 millions d’affiliés sont inscrits, un effectif loin, très loin même, des trois millions d’affiliés prévus par les conventions-cadres conclues avec les différents départements ministériels concernés.

Le deuxième indicateur se rapporte au nombre d’adhérents ne disposant pas de droits ouverts pour bénéficier de l’assurance-santé et dont le nombre se situe autour d’à peine 13% des adhérents.

Le troisième indicateur porte, lui, sur les frais d’adhésion. Les données de la CNSS font ressortir que, jusqu’à fin septembre dernier, pas plus de 27% des frais d’adhésion ont été recouverts. En revanche, les dépenses engagées, jusqu’à fin août dernier, ont atteint 1,182 MDH, bien plus que le montant recouvert des adhésions, ce qui n’augure rien de bon au courant des prochains mois pour un système menacé de déficit, bien avant d’avoir pris forme.

Le rapport de la Cour des comptes attribue ce constat au déséquilibre entre les taux de recouvrement selon les catégories, puisqu’il ne dépasse pas les 5% chez les agriculteurs et 11% chez les artisans.

Il apparaît ainsi que deux paramètres - le premier en lien avec la politique de la mise en œuvre de ce système et le second en rapport avec la politique de communication - seraient en grande partie à l’origine de la faiblesse notoire des adhésions, du déficit qui menace l’équilibre du système de santé, du déséquilibre entre les catégories dans le recouvrement des adhésions selon les catégories, et de l’incapacité jusqu’à maintenant de répondre aux attentes des adhérents en matière d’assurance-maladie.

Si un effort considérable a été fourni sur le plan juridique, notamment à travers l’adoption des lois réglementaires pertinentes, la politique de mise en œuvre, celle en rapport avec les mesures pratiques et concrètes, n’a pas été en mesure de suivre en vue d’élargir la base des adhésions et encore moins de garantir les droits des intéressés à jouir de l’assurance-maladie. La faible adhésion des agriculteurs et des artisans, révèle, en creux, un déficit de communication qui indique une incapacité à convaincre et à séduire une frange sociale rétive et sceptique.

Dans ce constat, un phénomène incident se révèle et met en scène la relation entre l’acteur partisan et son comportement en tant qu’acteur gouvernemental. Du fait que le premier tient son opérationnalité du soutien de l’Etat, se crée une forme de dépendance du premier qui pollue l’action du premier. Sa production politique en devient immature ne débouchant en fin de compte que sur la dilapidation des deniers publics sans accoucher d’une forme de leadership en mesure d’entrainer l’adhésion des Marocains à son action, quand bien même fut-elle fondée et bien conçue. L’idée pourrait paraitre injuste, mais comment, en effet, un responsable partisan qui s’avère incapable de rendre compte correctement des dépenses qu’il fait du soutien de l’Etat, peut-il être plus efficient en tant que responsable gouvernemental et être engageant quand il s’agit d’un si grand et noble chantier qu’est la généralisation de la protection sociale ? 

En clair, cet équivoque, on le devrait, d’une part, à l’existence d’une « zone de confort » favorable aux partis politiques, particulièrement ceux du gouvernement peu susceptibles d’être inquiétés par une application de la Loi et, d’autre part, à une politique bureaucratique qui, perçue comme injuste et inéquitable par les bénéficiaires, consacre le scepticisme de larges franges sociales quant aux réformes menées par l’Etat. La réforme semble ainsi enferrée dans un cercle vicieux.

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