chroniques
L’énigme Akhennouch
Malgré tout ce qui se dit sur sa success story, Aziz Akhennouch reste une énigme pour nombre de Marocains. Le plus évident de ce que l’on sait de lui est sa fortune
Une invitation de Aziz Akhennouch ça ne se refuse pas. L’homme, devrais-je préciser d’affaires, qui pèse plus d’un milliard et demi de dollars, chez lequel le Roi rompt le jeûne et le fait savoir, qui sans préavis est en train d’emplir de sa carrure imposante l’espace politique marocain, aiguise l’intérêt et attise la curiosité. Un weekend à Agadir pour voir ce personnage clore dans son fief sa tournée des régions du Maroc qu’il a entamée juste après son arrivée à la tête du Rassemblement National des Indépendants (RNI) pour relancer le parti, ne se décline donc pas. La mise en scène du meeting de dimanche 15 janvier est à son image, à l’américaine. Show chronométré, présentation graphique sur écran géant led qui colle au discours, meeting ponctué de documentaires à la gloire du RNI, plus de trois mille personnes réactives aux petites phrases d’Akhennouch, le nouveau chef de fil du RNI, visage éclairé par un sourire avenant, a vu les choses en grand. Il a voulu ce meeting comme son sacre pour prendre en main les nouvelles structures du parti qu’il entend faire adopter au prochain congrès : Un mix de démocratie participative qui permet aux bases de contribuer au débat et à la décision, et de charpente qui emprunte beaucoup à l’entreprise et à ses méthodes de gestion.
Malgré tout ce qui se dit sur sa success story, Aziz Akhennouch reste une énigme pour nombre de Marocains. Le plus évident de ce que l’on sait de lui est sa fortune. Elle lui est venue de son père, une grande figure du Souss et un résistant de la première heure d’obédience mouvement populaire. En peu de temps il a su, avec son cohéritier et ami, Ali Wakrim, la faire prospérer et diversifier. Du Canada où il obtient un MBA, il ramène un pré-carré d’amis et ceux qui l’ont approché assurent pouvoir compter sur sa loyauté en amitié comme en affaires. La main heureuse qu’il a dans ce domaine n’est pas seulement une histoire de bonne fortune, mais dénote un savoir faire certain et un flaire avéré.
Son côté populaire lui vient certainement de son enfance et de son adolescence dans le quartier industriel de Aïn Sbaa à Casablanca où il exposait ses tibias aux tacles de ses adversaires le temps d’un match de foot. C’est cette adversité qu’il est en train de retrouver avec délectation en politique. Contrairement à ce que croient beaucoup de gens, il n’est pas venu au RNI en août 2013, lorsque le Rassemblement a volé au secours du PJD lâché par les istiqlaliens. Mais bien plutôt, en 2003 en devenant président de la Région de Souss-Massa-Draa au nom du parti fondé par Ahmed Osman. Là comme à son habitude, il recourt aux experts et réussit le coup d’en faire son fief. S’il a intégré le premier gouvernement de Benkirane en tant que technocrate, c’est tout naturellement qu’il retrouve son maillot bleu lorsque le RNI fait son retour aux affaires en 2013. Peut-être n’a-t-il jamais été un tribun, mais il est en train de le devenir. J’en ai vu un échantillon dans son meeting d’Agadir, alternant sérieux, humour, pics et bons mots. On le dit conciliant, mais il sait être tranchant, sans états d’âme, voire sans scrupules, qualités sans lesquels on ne saurait réussir, ni en affaires, ni en politique.•
Les bons mots et les pics d’Akhennouch, du tac au tac« La démocratie ne dit nullement que celui qui a gagné doit écraser les autres. Au contraire ! » Depuis qu’il est chef du parti, Aziz Akhannouch sort de sa réserve et fait preuve d’un surprenant sens de la répartie. Lors du dernier meeting du RNI, tenu à Agadir, il a répondu à toutes les piques de Benkirane par des formules bien senties. Par exemple, il a su trouver les bons mots en lançant : « Ibtada AL Kalam » (le dialogue reprend), pour tourner en dérision la fameuse injonction du chef du PJD décrétant la fin des négociations avec le parti de la colombe pour la formation d’un gouvernement. Akhannouch n’a pas boudé le plaisir de rappeler à Benkirane qu’il aurait du mal à se passer des compétences Rnistes. Dans le même esprit, en suivant du regard un drone doté d’une caméra qui filmait le meeting qu’il présidait, Akhannouch a lancé : « Ce ne peut être que nos amis qui sont en train de nous écouter. Passez-leur donc nos salutations ! » A ceux qui dénigrent les Soussis, en bon « fils » de la région, Aziz Akhannouch a rappelé leur sens de la rectitude, du sérieux et de la loyauté. Pour éviter de tomber dans un quelconque communautarisme, il n’a pas non plus manqué de souligner que le RNI est un parti de tous les Marocains et que ses premiers ennemis sont la pauvreté, la précarité, la marginalisation et le chômage. « Nous sommes le parti d’Agharas… Agharas. C’est donc normal que notre vision dérange. Surtout des partis qui considèrent le champ politique comme un terrain de conflit », a-t-il poursuivi. Il ne mâchera pas non plus ses mots en s’en prenant aux partis politiques qui « veulent rester tous seuls » et aux « personnes de mauvaise foi ». Plus directe encore, il lancera : « Nous n’avons nul besoin des obscurantistes dans ce pays, ceux-là même qui noircissent à fond le tableau (de la réalité). Je m’adresse à tous ces prédicateurs, à visage couvert ou découvert. Et je leur dis : la démocratie n’appartient à personne. La démocratie, c’est le respect de tous. C’est la possibilité de vivre et travailler ensemble. La démocratie ne dit nullement que celui qui a gagné doit écraser les autres. Au contraire ! » Après avoir lancé toutes ces contre-attaques, Akhannouch a aussi montré qu’il a le sens de la modération à travers ces propos : « Nous parlons peu, mais nous devons nous aussi apprendre à communiquer. Nous sommes et restons toutefois ‘oulad Nass’ ». |