L’interminable débat sur le Silence des armes en Afrique – Par Hatim Bettioui

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Les plus optimistes estiment que si l'Union ne trouve pas une solution politique satisfaisante et arrêter dans les trois mois la guerre civile qui ravage le pays depuis près d’une année, le Soudan s’enfoncera dans les abîmes pour un voyage en enfer sans retour.

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"Faire taire les armes", une initiative adoptée par l'Union africaine en 2013 dans la perspective de mettre fin à tous les conflits en Afrique à l’orée de 2020. Cependant, les armes ont continué à parler dans plusieurs régions de l'Afrique, ce qui a conduit à l'extension de l'échéance jusqu'en 2030.

Cette initiative est une partie des 15 projets principaux de l'Agenda 2063 établi par l'Union africaine il y a des années, identifiés comme des clés pour accélérer la croissance économique et le développement en Afrique, et pour renforcer l'identité commune en célébrant l'histoire et la culture, en plus d'inclure des projets d'infrastructure, d'éducation, de science, de technologie, d'art et de culture.

Ce généreux et ambitieux projet est sur le bureau de chaque président élu à la tête de l'Union africaine et un sujet de débat à chaque sommet. De telle manière qu’il reste parmi les enjeux de la présidence mauritanienne actuelle de l'Union continentale, mais peut-on vraiment raccommoder ce que le temps a endommagé ?

L'image que renvoie l'organisation panafricaine depuis Addis-Abeba semble sombre, marquée par un usage abusif des mots et de discours creux. Les commissaires de l’UA ne passent que quelques jours au siège, et par conséquent, ne garantissent pas le suivi de l'exécution des décisions du Conseil exécutif de l'Union et des présidents, dont les trois mille décisions toujours en suspens.

La présidence mauritanienne fait face à de nombreux défis compte tenu de la complexité des crises africaines, rendant difficile l'influence sur les événements actuels sur le continent.

Une réforme en stand-by

L'Union africaine connaît de grands déséquilibres, d’où la nécessité de revoir les mécanismes directeurs de son travail est cruciale, une nécessité qu’elle partage d’ailleurs avec d'autres organisations internationales et régionales telles que, entre autres, les Nations Unies et la Ligue des États arabes.

Lorsque le président rwandais Paul Kagame a pris la présidence de l'Union africaine (2018-2019), des tentatives de lancer un processus de réforme institutionnelle de l'organisation africaine, souvent considérée comme inefficace et dépendante des donateurs, ont été faites, le chef de l’Etat rwandais ayant été chargé Kagame en 2016 du projet de réforme, considéré comme un grand chantier. Cependant, l'enthousiasme du début s’est rapidement perdu dans le train-train du fonctionnement de l'Union et la succession des présidences successives.

"Faire taire les armes" et la réforme institutionnelle de l'Union ne sont pas les seules priorités de la présidence mauritanienne qui a aussi sur la table des défis environnementaux liés à la réduction du niveau de carbone sur le continent, la protection des civils innocents des conflits sanglants, l'assurance du minimum d'aide humanitaire pour des millions de personnes dans le besoin sur le continent, l'activation de la coopération Sud-Sud, et le renforcement du commerce intra-africain. A ces travaux d’Hercule, il faut ajouter la protection des systèmes constitutionnels des pays, car cette protection est la clé de la coexistence, surtout avec la succession des coups d'État militaires en passe de redevenir une marque déposée africaine.

Relever ces défis nécessite une vision unifiée, un langage cohérent et homogène, et une volonté collective, qui font tant défaut à l'Union africaine. Il y a aussi, dans l’actualité brûlante, le drame soudanais qui reste l'un des principaux défis auxquels fait face la présidence mauritanienne de l'Union.

3 mois avant un voyage sans retour en enfer

Les Américains tentent d'accélérer le processus pour arrêter la guerre, mais il semble qu'ils ne réussiront pas à le faire, car ils n'ont pas pu réaliser de percée au niveau de la "plateforme de Djeddah", sans oublier que la difficulté au Soudan réside dans le grand nombre d'intervenants, qu'ils soient arabes, africains ou occidentaux. Sans oublier la difficulté de trouver des interlocuteurs crédibles parmi les belligérants soudanais, qu'ils soient civils ou militaires, pour travailler avec eux à la réalisation de la paix, à l'arrêt de la guerre et à l'élaboration d'une nouvelle phase de transition démocratique. C’est là non pas le constat de simples observateurs, mais les affirmations de diplomates africains au fait des secrets de ce qui se trame dans la marmite de la crise soudanaise.

Ces diplomates estiment qu’avec ‘’la multiplicité des interventions, qu'elles soient étrangères, ou parfois de la part de certains Soudanais, que Dieu leur pardonne, qui ont vendu leur pays pour une bouchée de pain, le dossier de la crise soudanaise devient de plus en plus complexe et enchevêtré".

Entre-temps, le mécanisme de haut niveau concernant le Soudan, créé il y a quelques semaines sur recommandation et décision du Conseil de paix et de sécurité africain, tente de réaliser une percée pour parvenir à une solution à la crise, en coordination totale avec les Nations Unies, la Ligue arabe, et l'organisation IGAD, une organisation régionale dont la mission est de lutter contre la désertification mais qui s'est mise à s'occuper davantage des questions politiques que des problèmes environnementaux, aussi bien qu'en consultation avec les pays voisins et les partenaires internationaux, y compris l'Union européenne.

Le travail de ce mécanisme en est à ses débuts, puisque ses composantes, Ghana, Mozambique et Ouganda, ont visité les pays voisins et les Nations Unies où elles ont reçu un bon accueil.

Ce mécanisme n'a maintenant d'autre choix que de se mettre en ordre de marche pour travailler sur le terrain et proposer des scénarios de solutions possibles, en gardant à l'esprit que toute solution ne peut être que purement soudanaise, et ne peut être réalisée qu'à travers le dialogue et la négociation et non à travers les armes.

Les armes plus disponibles que le pain

Et quelle que soit l'ampleur des atrocités et des violations commises contre le Soudan lui-même, son peuple, et les biens publics et privés, il est essentiel de revenir à la table des négociations et au dialogue pour trouver un règlement qui préserve l'unité du pays, la vie des Soudanais et leur sang.

La protection des civils ne peut être réalisée qu'en faisant taire les armes, et le silence de ces dernières nécessite l'activation de deux mécanismes connus. Le premier consiste à récupérer les armes, quitte, si nécessaire, à utiliser la force, car la collecte des celles-ci est en soi une victoire. Le second mécanisme consiste à réformer le système sécuritaire et militaire du pays et à intégrer les porteurs d'armes dans la société civile, ce qui aidera à fournir les conditions de réussite et à atteindre des solutions satisfaisantes et durables.

Mais bien que la solution au Soudan passe par ces deux mécanismes, la multiplicité des intervenants et l'absence d'interlocuteurs crédibles ne font qu'aggraver la crise.

Face à la situation confuse au Soudan, une question se pose : existe-t-il encore un État soudanais ?

Et la réponse, selon un diplomate arabe chevronné qui a vécu longtemps à Khartoum, est : "Il reste encore un mince espoir, mais si la situation n'est pas rectifiée au plus tôt, ce qui reste de l'État sera emporté par les vents".

La guerre a divisé le Soudan est en deux parties. Une partie contrôlée par l'armée, et l'autre par les Forces de soutien rapide. Dans ce contexte de dégradation avancée, les institutions restent faibles, et pour parler objectivement, il faut dire qu'il n'y a plus de gouvernement à proprement parler.

Depuis le 25 octobre 2021, il existe un vide politique et constitutionnel dans le pays, et l'éclatement de la guerre civile le 15 avril 2023 n'a fait qu'aggraver les choses.

Aujourd'hui, 11 mois après le début des affrontements meurtriers, les blessures des Soudanais s’aggravent, la division s'approfondit, et les interventions étrangères augmentent.

Les envoyés internationaux au Soudan se sont multipliés. Il y a l'envoyé des Nations Unies et l'envoyé des États-Unis, l'envoyé de l'Union européenne et l'envoyé de Norvège, un autre allemand, et un homologue français. Malgré cette multiplicité des bonnes âmes ou à cause d’elle, la situation dans le pays va de mal en pis, sans la moindre lueur d'espoir.

Quand "les armes se tairont-elles" dans ce pays qui n'a jamais connu le goût de la paix et du bien-être à cause des problèmes et des complications qui l'ont assailli depuis son indépendance du Royaume-Uni et de l'Égypte en 1956 ? La question reste entière.

Quoi qu'il en soit, la discussion sur "le silence des armes" ne se terminera jamais tant que les armes seront plus disponibles en Afrique que le pain.

D’après Annahar al-arabi, traduit par Quid

 

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