chroniques
Un chien américain - Par Seddik MAANINOU
Un chien tombé du haut d’un ravin…
Lors d’une visite familiale aux Etats-Unis, en fin d’année, j’ai suivi la couverture réservée par certains médias US, et particulièrement les chaînes TV, à l’agression israélienne contre Gaza, avec son cortège funèbre de milliers de martyrs.
La surprise était qu’au pays de Lady Liberty, il n’est pas seulement interdit de protester contre Israël, un acte érigé en ligne rouge, mais j’ai été frappé par, sino le silence, la marginalisation pure et simple des événements en cours à Gaza.
Mon premier matin, je me suis réveillé pour me retrouver face à un long talk-show sur une chaîne de TV américaine, relatant les péripéties d’un chien tombé du haut d’une falaise et comment le malheureux, pris d’assaut par les flots de la mer, a passé une nuit entière agrippé à un rocher.
Son maître a avisé la police et les équipes de secours. J’ai vu un hélicoptère survoler la zone du drame et un homme descendre avec un câble métallique jusqu’à proximité de l’animal. Le secouriste emmitoufla le rescapé dans un tissu, l’enlaça tendrement et fit signe à l’hélicoptère de les tirer tous deux à l’intérieur de l’appareil. Plusieurs personnes ayant suivi l’opération de sauvetage ont applaudi cet exploit, au grand bonheur d’une association de protection des animaux qui a naturellement exprimé son satisfecit.
Cet incident m’a rappelé un autre survenu, lors d’une visite effectuée par le Roi Hassan II aux Etats-Unis au cours des années 80 du siècle dernier. Aux environs de minuit, le ministre de la Maison royale, du Protocole et de la chancellerie, Moulay Hafid El Alaoui, m’avait appelé pour me demander « pourquoi les chaînes américaines n’avaient pas transmis l’arrivée de Sidna ?»
« Toutes les chaînes ne parlent que d’un chien. C’est quoi cette histoire ? », a-t-il ajouté. J’allais ainsi m’enquérir pour apprendre que le chien-vedette en question encourait la peine capitale pour avoir mortellement mordu une fillette dont il avait arraché une partie de sa chair. J’ai rapporté cette histoire en détails dans mes mémoires « Jours d’antan ».
Ainsi donc, au moment où les avions israéliens bombardent des civils désarmés dans la bande de Gaza, faisant près de 30 mille morts en majorité des enfants et des femmes, et alors qu’une ville entière est rasée et des centaines de milliers de personnes, privées d’eau, d’électricité et de nourriture, ont été déplacées, l’Amérique n’a d’yeux que pour un chien tombé du haut d’un ravin, faisant l’ouverture des bulletins d’informations des chaînes TV.
Le chien a ensuite disparu des chaînes TV pour laisser place à l’ex-président Donald Trump qui renforce chaque jour sa présence sur la scène politique dans la perspective de la prochaine présidentielle. Sur tous les plateaux, des experts des questions américaines débattent et épiloguent sur les chances d’un éventuel come-back de Trump à la Maison Blanche. Certains estiment que son retour serait une catastrophe pour l’avenir des Etats-Unis du fait qu’il n’hésitera pas à verser dans les représailles et la revanche. D’autres conjecturent qu’il soutiendra Israël et frapperait l’Iran, mais qu’il cherchera une réconciliation avec le président russe Vladimir Poutine sur la base d’un partage de l’Ukraine. D’autres encore considèrent que les Etats-Unis sont menacés d’une guerre civile, en cas de victoire comme de défaite de Trump. Visiblement, l’opinion publique US est préoccupée par Trump, sa grossièreté, son intransigeance et ses regards de basilic.
Par contre, pas un mot sur Gaza si ce n’est en allusion à une tournée au Proche-Orient que s’apprêtait à effectuer le secrétaire d’Etat US Antony Bilnken, au Hizbollah libanais qui menace la stabilité de la région ou encore aux menaces des Houthis à la sécurité du trafic maritime international, le tout sur fond d’une carte de la région.
Manifestement, les TV américaines n’ont pas d’images sur les bombardements, les scènes de destruction et de désolation, les convois interminables des martyrs et des milliers d’enfants sans abris. Pour ces chaînes, les événements qui endeuillent Gaza sont un non-event ne méritant pas d’être présentés aux téléspectateurs.
Dimanche matin, les JT ont fait leur ouverture sur la démission de la présidente de la célèbre Université de Harvard, Claudine Gay. Soupçonnée d’antisémitisme et menacée de mort, Mme Gay avait subi un interrogatoire musclé au Congrès américain après que son université ait connu des manifestations de protestation contre la politique israélienne et son agression contre les civils.
Les chaînes TV ont présenté des extraits de cette interrogatoire au cours duquel la présidente de l’Université a soutenu que les manifestations estudiantines s’inscrivaient dans le cadre de la liberté d’expression au sein d’une institution académique ayant traditionnellement opté pour l’ouverture et l’indépendance. Les TV, par contre, ont considéré que la démission était la meilleure décision que Mme Gay ait prise depuis sa nomination à ce poste, il y a six mois. Signe des temps : l’Amérique, pays havre des libertés, sanctionne la présidente de l’Université mythique de Harvard, la première femme noire à ce poste, parce que des étudiants ont manifesté sur le campus pour dénoncer une agression contre des civils !
C’est devenu un classique : chaque fois que les Etats-Unis, et l’Occident en général, veulent resserrer l’étau autour d’un pays faible, ils l’accusent de violations des droits humains, dont les droits de manifestation et d’expression. Rien d’étonnant donc à ce que le spectateur américain préfère la morsure d’un chien à l’histoire d’un peuple à la merci des bombardements.
Il n’empêche, aux USA, chaque week-end, des milliers de manifestants battent toujours le pavé pour dénoncer Israël et condamner son génocide.