chroniques
UN LIVRE DE FOUAD M. AMOR : DÉSOCCIDENTALISATION ET FIN DU NÉOCOLONIALISME ? - PAR MUSTAPHA SEHIMI
Si le panafricanisme connaît un regain d'intérêt, il reste à définir les voies et les moyens d'une unité, par-delà les modes de coopération des huit organisations régionales
Déclin de l'Occident ? Crépuscule d'une civilisation? Émergence de ce que l'on appelle le "Sud global"? Un autre monde plus multipolaire, voire multilatéral avec les BRICS qui s'organisent? A n'en pas douter, voilà une grande problématique prise à bras-le-corps par Fouad M. Ammor, dans un nouvel ouvrage : "Va-t-on vers la désoccidentalisation et la fin du néocolonialisme ? "(éd. Afrique Orient, Casablanca, 2023, 278 p.).
Une dizaine de chapitres l'articulent embrassant plusieurs champs : le post colonialisme, le confucianisme, les BRICS, 1'Érasmisme, le néo-panafricanisme, les enjeux géopolitiques de la Méditerranée, la Françafrique, le Sahel, l'Afrique sub-saharienne et ses fondements culturels
Fracture Nord- Sud.
L'hypothèse de départ à laquelle s'adosse cette recherche est celle du "renouveau de la désoccidentalisation". Qu'en est-il au vrai ? L'Occident a dominé les siècles précédents par suite du développement de ses forces productives. Cette domination s'est déployée ensuite au XIXème siècle avec la projection coloniale, suivant des séquences différenciées, en Afrique et dans d'autres latitudes. A partir de la moitié du XXème siècle, s'est affirmé un nationalisme africain qui a conduit à la décolonisation. L'idée américaine était que l'évolution historique allait se faire suivant un processus linéaire de développement avec des étapes successives. Un schéma contesté en ce sens qu'une autre approche priorisait surtout un "centre" (occidental) et une périphérie subissant les lois de la domination. La notion de "Tiers- monde" fait alors florès. Et la bipolarité Est-Ouest se voit aujourd'hui remise en cause, après la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 et l'éclatement de l'ex-URSS. S'y substitue désormais la fracture Nord-Sud. L'auteur propose de nouveaux critères de différenciation pour éclairer une nouvelle vision du monde: celle de l'autonomie numérique ou encore souveraineté numérique. Ce qui distingue, ce n'est plus tellement le degré d'industrialisation mais le facteur numérique ; et dans ce registre là force est de faire ce constat: les USA et la Chine sont en pole position; les autres pays accusent un grand retard quand ils ne sont pas à la traîne...
Le panafricanisme: un nouvel élan
L'Occident dominateur, impérial même ? Un statut mis à mal. Des facteurs poussent dans ce sens : il n'enregistre plus que 15 % de la population mondiale - et 10% à l'horizon 2050 - alors que la Chine et l'Inde totalisent 2,8 milliards de personnes et la moitié en 2030 ; une part en réduction constante dans le PIB mondial avec 38 % aujourd'hui ; sans parler du tassement de la croissance alors que le Sud se distingue par plus de croissance et de gains de productivité. Le centre de gravité de l'économie du monde bascule vers l'Asie du Sud-Est et en particulier vers la Chine qui n'impose, elle, aucun "modèle" politique ou démocratique. Le monde devient multipolaire avec des pays émergents comme la Chine, l'Inde, 1'Amérique latine, le monde islamique et l'Asie du Sud-Est. Le Sud global manque sans doute d'homogénéité mais la résultante des évolutions que l'on y observe pousse en tout cas dans ce sens.
Fouad M. Amor décortique dans le détail les déterminants qui à ses yeux soutiennent et accélèrent cette évolution. Il ouvre ainsi un débat fécond sur des perspectives possibles, probables, quant aux processus qui vont les accompagner. La rive Sud de la Méditerranée ainsi que l'Afrique œuvrent pour une décolonisation : le recul de la France en particulier au Maghreb et au Sahel en sont l'une des expressions les plus symptomatiques. La bonne parole portée par l'Occident sur des modèles de développement et des valeurs ne fait plus tellement recette : tant s'en faut. Le panafricanisme arrivera-t-il à donner un nouvel élan à l'unité et à la solidarité du continent? Y aura-t-il une approche volontariste pour réaliser la zone de libre échange et en 2063 l'agenda commun de développement ?
Souhaitable ? Mais est-ce possible tant il est vrai que tant de contraintes sont encore fortement prégnantes -démocratisation, paix, stabilité, sécurité, changement climatique, environnement, stock de contentieux frontaliers,... Il appelle pourtant de ses vœux une "Afrique forte, solide" face à une Chine qui développe sa place et son influence dans le continent- ce qui " n'en soulève pas moins des préoccupations en termes de souveraineté, de transparence et de gain mutuel". Avec les anciennes puissances coloniales, tout doit être mis à plat pour de nouveaux rapports de coopération et de partenariat.
Un défi pour le continent. Si le panafricanisme connaît un regain d'intérêt, il reste à définir les voies et les moyens d'une unité, par-delà les modes de coopération des huit organisations régionales. Un livre optimiste, interpellatif aussi, qui minore peut-être le poids de la "réalpolitik" Et pour enjamber cette forte contrainte, que faire ? Du leadership, l’incarnation, du volontarisme, la mobilisation de la jeunesse et des peuples... Vaste programme !