société
Faut-il enseigner la littérature coloniale ?
Encore faut-il qu?il y ait eu une litt?rature coloniale??? C?est ce que j?ai essay? de d?montrer dans mon intervention au colloque organis? par la Facult? des Lettres et des Sciences humaines de Mohammedia autour du th?me ??Regards r?trospectifs sur la litt?rature coloniale?? et o? j?affirmais qu?il n?y avait pas eu de litt?rature coloniale. La conf?renci?re qui me succ?da concluait quant ? elle que non seulement il existait une litt?rature coloniale mais qu?il fallait l?enseigner dans nos ?tablissements scolaires et universitaires.? Nous nous installions ainsi dans une controverse qui allait ?tre st?rile, parce que pleine de malentendus et de contresens.? A. Kilito avait d?j? fait remarquer comme cette conf?renci?re que ??la litt?rature coloniale est foisonnante, d?une grande richesse?et qu?elle a une valeur documentaire irrempla?able???.? Le malentendu et le contresens naissent de cette affirmation l?.? Si nous ?tendons la signification du mot litt?rature et l?employons dans son spectre s?mantique le plus large, des ?uvres comme celle du P?re Charles de Foucault ??Reconnaissance du Maroc?? ou celle d?Edmond Doutt? ??En tribu?? rec?lent effectivement des informations pr?cieuses pour le chercheur historien, anthropologue, sociologue, d?mographe ou autre.? Et ce sont des documents irrempla?ables.? Mais ce n?est pas pour moi de la litt?rature.? Je pense quant ? moi ? la litt?rature de fiction, ? la po?sie, au th??tre, au roman, et dans ce sens cette litt?rature comme litt?rature coloniale n?a pas exist?.? Elle n?a pas exist? de l?aveu m?me de ses t?nors et de ses repr?sentants les plus agressifs dont l?un, Pierre Mille, ?crit ??Or, je professe une opinion scandaleuse?:?. La litt?rature coloniale n?existe pas? Une ?uvre de la litt?rature coloniale pour moi serait celle qui eut ?t? produite dans un pays o? un des europ?ens serait n?? Notre litt?rature coloniale ? nous? elle est du moins pour les meilleurs ouvrages, l?ouvrage de fran?ais de m?tropole?!? Ce n?est pas de la litt?rature coloniale.? C?est de la litt?rature de tourisme colonial??.? Lors du s?minaire de Mohammedia j?ai renonc? ? demander ? la conf?renci?re adepte de son enseignement s?il fallait faire inscrire dans nos programmes litt?raires une litt?rature touristique parce qu?elle ?tait aussi coloniale.? Quand des ?crivains naitront en colonie, Louis Bertrand, un autre t?nor de cette litt?rature dira que ??C?est une revue parisienne qui publiera (leurs romans) et c?est un ?diteur parisien qui (les) imprimera? admettons qu?ils aient la ressource des ? imprimeries locales? ils ?criront toujours suivant la formule fran?aise actuelle??. La colonie, hors de France, reste la France et la litt?rature qui s?y d?veloppe p?riph?riquement est une litt?rature dont l?existence et les succ?s, s?il y en a, d?pendent du Centre, c'est-?-dire de Paris.? C?est ce que J. Berque appelle ??L?imp?ratif parisien??. Eug?ne Pujarniscle affirmera dans ??Philox?ne ou la litt?rature coloniale???: ??les colonies ne sont pas l??tranger?? et il ajoute ??c?est le public m?tropolitain qui (leur) conf?re la notori?t?? c?est donc au public de France que s?efforcera de plaire l??crivain d?Afrique ou d?Asie??.? Quand A. Memmi publiera une anthologie de ces ?crivains comme G. Audisio, Jean Amrouche, Jules Roy, Emmanuel Robbles, entre autres, il ne l?intitulera pas ??Anthologie des ?crivains coloniaux?? mais ??Anthologie des ?crivains fran?ais du Maghreb??.
Il aurait fallu que cette litt?rature satisfasse ? quatre ?l?ments constitutifs pour qu?elle puisse exister?: une rupture avec l?exotisme, mais ce courant litt?raire est rest? une enclave ind?racinable au c?ur de la production coloniale.
Que l??crivain soit n? en colonie mais nous constatons que malgr? la profusion des publications bien peu de ceux l? furent transcendants.
Que ces ?crivains parlent de la colonie, du colon, mais s?ils parlent des probl?mes des leurs ils ne parlent pas de la colonie parce qu?elle est dualit??: le colon face ? l?autochtone, la ville europ?enne face ? la m?dina, le moderne face au traditionnel et cette th?matique l? est absente de cette production.
Que cette litt?rature invente un nouveau langage, un nouveau style au lieu de cela comme le d?montre J. Berque, elle invente un style qui consiste en ??l?absence de style??.
Aucun de ces ?crivains pr?cit?s ne remplit ces conditions.
Qu?en est-il du plus prestigieux d?entre eux, A. Camus??
E. Sa?d nous dit que cet auteur est ??une figure imp?rialiste tardive? qui survit comme auteur (universaliste)??.? Nous pouvons affirmer que sa r?ussite est une r?ussite m?tropolitaine et qu?il est comme le dit J. Berque ??un romancier qui n?accueille le Maghreb dans son ?uvre qu?infiniment ?labor? et finalement mutil???.? Un indice significatif?: dans ??L?Etranger?? Meursault tue un arabe mais un arabe qui n?est pas nomm?, comme s?il n?avait ni p?re ni m?re et dans ??La Peste?? les indig?nes qui meurent sont tous anonymes.? Au fond, A. Camus quoique n? en colonie est ??aveugle?? aux probl?mes des colonies. Il semble dans ses derni?res ann?es?? avoir esquiv? les signes des luttes coloniales, comme l?affirme E. Sa?d et avoir traduit ouvertement dans la langue, l?imagerie et la vision g?ographique une volont? fran?aise de disputer l?Alg?rie ? ces habitants indig?nes musulmans??.? A. Camus survit en tant que romancier fran?ais dont les ?uvres ne parlent pas de la colonie mais de la France.? Il survit en tant qu??crivain fran?ais diss?quant la crise de la conscience fran?aise ou europ?enne non du ??scandale?? que fut la pr?sence fran?aise sur notre terre, selon l?heureuse expression de J. Berque.
Il n?existe pas de litt?rature coloniale.? Comment peut-on enseigner une litt?rature qui n?a jamais exist???
On pourrait ? la rigueur enseigner pourquoi la litt?rature coloniale fut un ?chec de la litt?rature, ou une litt?rature de l??chec.