Alain Delon est mort : Une lecture psychanalytique de l’idole par deux médecins

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Là où Delon incarnait une masculinité européenne sophistiquée et parfois froide, Sharif apportait une chaleur et une humanité qui faisaient de lui une figure d’attachement tout aussi fascinante mais différente.

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Par Dr Anwar Cherkaoui et Dr Hachem Tyal, psychiatre et psychanalyste 

La figure de l'idole de cinéma, comme celle d'Alain Delon, occupe une place complexe et souvent profonde dans la psyché humaine. À l’écran, Delon n'était pas simplement un acteur; il incarnait des idéaux, des fantasmes et des archétypes universels. Lorsqu'il tenait Romy Schneider entre ses bras, il ne s'agissait pas seulement d'une scène d'amour, mais d'une projection des désirs et des aspirations inconscientes de millions de spectateurs. Dans ces moments, il devenait l'homme idéal, celui que chaque homme rêvait d'être et que chaque femme rêvait d'avoir.

Psychanalytiquement, une idole de cinéma peut être vue comme une figure de l'idéal du moi, une image que l’individu cherche inconsciemment à intégrer dans son propre psychisme. Cet idéal peut représenter la beauté, la puissance, la séduction, ou encore la réussite sociale. Alain Delon, avec sa beauté frappante et son charisme, est devenu pour beaucoup cet idéal lointain, presque inaccessible. Les rôles qu’il incarnait, du "Samouraï" au "Guépard", renforçaient cette image d'une masculinité parfaite, à la fois forte et élégante, mystérieuse et magnétique.

Pour les hommes, Delon pouvait représenter une figure d'identification, un modèle à atteindre. Ils pouvaient projeter sur lui leurs désirs de puissance, de séduction, ou de maîtrise de soi. Voir Delon à l'écran, c'était se confronter à l'image d'un surhomme, celui qui semble capable de tout accomplir, de tout conquérir. Cela peut provoquer une ambivalence : à la fois un désir d’imitation, mais aussi une frustration face à l’écart inévitable entre l’idéal et la réalité. Pour les femmes, Delon incarnait souvent l'image de l'amant parfait, une figure érotique qui éveillait des fantasmes inconscients. Son image à l’écran permettait de projeter des désirs, des rêves de fusion amoureuse, dans un cadre sécurisant où la distance de l'écran protège de la confrontation directe avec ces désirs.

Cependant, cet attachement à une idole de cinéma révèle un besoin plus profond : celui de se connecter à des aspects de soi-même que l'on ne s'autorise pas à exprimer pleinement dans la vie réelle. L'idole devient alors un réceptacle pour ces aspects refoulés ou inaccessibles, une sorte de double fantasmé qui vit ce que le spectateur ne peut ou n'ose pas vivre.

Intégrer dans cette réflexion un autre acteur emblématique, tel que Omar Sharif, d'origine arabe, permet d’élargir la perspective sur ce que peut représenter une idole de cinéma. 

Sharif, avec sa présence magnétique et son élégance naturelle, apportait à l’écran des valeurs souvent différentes mais tout aussi puissantes que celles incarnées par Delon. 

Dans "Lawrence d’Arabie" ou "Le Docteur Jivago", Sharif incarnait non seulement la beauté et la puissance, mais aussi une dimension spirituelle et une profondeur émotionnelle, qui résonnaient particulièrement avec les publics du monde arabe et au-delà.

Pour beaucoup, Omar Sharif représentait un idéal de sagesse, de mystère, et d’élégance, ancré dans une culture riche et complexe.

Là où Delon incarnait une masculinité européenne sophistiquée et parfois froide, Sharif apportait une chaleur et une humanité qui faisaient de lui une figure d’attachement tout aussi fascinante mais différente. 

Dans le psychisme masculin, Sharif pouvait représenter un idéal plus nuancé, mêlant force intérieure, noblesse et sensibilité, une masculinité équilibrée entre l'action et la contemplation.

Pour les femmes, Sharif, avec ses traits exotiques et sa voix chaude, représentait une figure d’attirance liée non seulement à la beauté physique, mais aussi à une promesse de protection et de profondeur émotionnelle.

Il incarnait un idéal d’amour passionné mais aussi respectueux, enraciné dans des valeurs culturelles et spirituelles.

Ainsi, l’idole de cinéma, qu’elle prenne les traits d’Alain Delon ou d’Omar Sharif, devient un miroir des aspirations profondes et des désirs refoulés. 

Elle permet aux individus de se connecter à des dimensions de leur psyché qu’ils ne peuvent atteindre dans leur quotidien, qu’il s’agisse de la quête de beauté, de puissance, d’amour ou de spiritualité.

Ces figures iconiques transcendent les cultures, offrant à chacun un espace pour rêver, pour se projeter, et peut-être, pour mieux se comprendre.

Alain Delon et Omar Sharif ont joué ensemble dans un film. 

Ils ont partagé l'affiche dans le film *"La bataille de San Sebastian"* (titre original : "Guns for San Sebastian"), réalisé par Henri Verneuil en 1968. 

Dans ce western, seul film qu’ils ont joué ensemble, se déroulant au Mexique au XVIIIe siècle, Alain Delon joue le rôle de Léon Alastray, un bandit en fuite qui se réfugie dans un village mexicain, tandis qu'Omar Sharif incarne le rôle du colonel Santillana, un officier de l'armée espagnole. 

Le film est une aventure épique où les deux acteurs livrent des performances marquantes, ajoutant à la richesse du cinéma de cette époque.