Le leurre de la prohibition

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Une équation très compliquée à résoudre : plante peu exigeante, bénéfices maximaux et convoitises énormes.

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Le Maroc s’apprête à légaliser la culture du chanvre indien. La légalisation se limitera à six régions, toutes dans le nord du pays. Son reclassement par l’OMS dans la liste des substances à usage thérapeutique a ouvert la voie à une décision qui fera sans doute polémique et divise déjà le parti du chef du gouvernement. Les atouts de Saâdeddine El Othmani le psychiatre lui seront sans doute d’un grand secours, mais il aura vraisemblablement beaucoup de mal à convaincre ceux qui, au sein du PJD, sont viscéralement hostiles à la légalisation.  A leur tête son prédécesseur Abdalilah Benkirane qui en fait une ligne rouge. 

Par cette décision de bon sens en cours d’approbation, le gouvernement marocain veut donner une alternative légale aux agriculteurs qui s’y adonnent et les mettre autant que faire se peut à l’abri des réseaux de trafic. Le projet de loi prévoit la création d’une agence nationale qui prendra en charge l’achat et la commercialisation de la production du cannabis à l’industrie pharmaceutique, et, pourquoi pas, à l’industrie du textile que la plante intéresse.

La création d’une agence nationale renvoie tout naturellement à son « ancêtre », la régie des Kifs et des tabacs, appellation du monopole que prennent en 1906 des capitaux français sur la culture du cannabis au Maroc. Pendant longtemps, la France puisera dans ce réservoir près de 90% de ses besoins pharmaceutiques en cannabis avant que cet usage légal connaisse l’interdiction en deux étapes. Une première fois en 1932, qui se limitera à la zone d’occupation française ; et une deuxième, à la veille de l’indépendance, en 1954 qui verra l’interdiction s’étendre à l’ensemble du territoire national. Pour autant elle ne réussit pas à enrayer sa production et sa consommation qui est à cette époque, sous différentes formes, du sebsi à la pâte de maâjoune, un trait de culture sans toutefois égaler celui du kat au Yémen.  

La prohibition, une équation complexe    

Synonyme, du moins dans les croyances, de rapides gros gains sans beaucoup d’efforts, la culture du chanvre indien, arrivé au Maroc dès le 7ème siècle, va prospérer sans se soucier des contraintes légales, et vivra un véritable essor avec l’éclosion du mouvement hippie qui en a fait un mode de vie dans les années soixante-dix du siècle dernier. Le traditionnel sebsi, qui reste l’apanage des corporations artisanales, va céder rapidement devant la résine de cannabis et le joint branché. 

Les gouvernements qui se succèdent depuis l’indépendance se retrouvent à chaque fois devant une équation, si elle n’est pas insoluble, très compliquée à résoudre : plante peu exigeante, bénéfices maximaux et convoitises énormes. La réponse par l’implantation de l’olivier, par exemple, apparait dans ce contexte ridicule, d’autant plus qu’autour du « pot de miel » s’agglutinent des réseaux de trafics locaux et internationaux. Les organismes marocains de répression vont ainsi se retrouver pratiquement dans les mêmes difficultés et face aux mêmes travers qu’affronte aux Etats Unis d’Amérique le FBI pendant la période de prohibition (1920 -1930). Faut-il le rappeler, le dernier mot est revenu à la levée de l’interdiction de la production et de la consommation des alcools. Et c’est seulement à ce prix que les mafias qui s’étaient construites sur la prohibition ont dû aller se chercher ailleurs d’autres biberon à téter, cependant qu’Al Capone, leur figure légendaire, moisissait en prison.

Comparaison n’est peut-être pas raison. Mais à travers l’expérience américaine avec les alcools, mais aussi à travers les exemples des pays où leur interdiction est toujours de rigueur avec ce qu’elle induit comme trafic et production locale frelatée aux conséquences sanitaires incalculables, on peut comprendre sans efforts que la légalisation de la culture du cannabis à des fins thérapeutiques ne mettra pas fin aux usages prohibés. 

Ce qui ne veut pas dire que la restitution d’une partie de cette culture au champ de la légalité ne réduira pas d’autant les surfaces destinées aux pratiques illicites. Cette restitution constituera aussi, sans nul doute, une incitation des paysans à la reconversion. Mais pourra-t-elle répondre aux besoins de toutes les populations qui en vivent ? La réponse ne souffre pas le doute et tombe sous le sens. De là à suggérer qu’il faudrait aussi en légaliser la consommation, il n’y a qu’un pas qu’on ne franchira pas ici. Mais la question mérite d’être posée. 

L’usage addictif du cannabis est nocif. Nuisible à plus d’un titre à la santé mentale et physique. Doublement. Par l’usage de la substance elle-même et par son mélange, passage obligé, avec le tabac des cigarettes. Il peut dans certains cas provoquer des ravages. Tous les psychiatres, Saâdeddine El Othmani en premier chef, vous diront que pour certains jeunes prédisposés, c’est un déclencheur et un accélérateur des troubles psychotiques. Il est également susceptible de servir de passerelle aux drogues dures autrement plus ravageuses. C’est également un incitateur à l’oisiveté et à la passivité, quand bien même il fut à travers les siècles et jusqu’à nos jours, avant qu’il ne soit détrôné par la coke, un moteur d’inspiration pour de nombreux créateurs et créatifs célèbres. 

Néanmoins et en dépit de tout ce que l’on peut reprocher au cannabis, une question majeure s’impose : Le cannabis serait-il plus nocif que les vins et ceux-ci seraient-ils moins dévastateurs ? Rien n’est moins sûr et les chiffres sur les dégâts sociaux, sociétaux et sanitaires de la consommation addictive de l’alcool disent le contraire. Pourtant l’Occident en a fait une culture et un art desavoir- vivre, voire une valeur de modernité, se contentant dans le meilleur des cas d’alerter sur les excès et d’appeler à un usage modéré. 

Au Maroc, la consommation du kif ou de ses dérivés traditionnels, récréatifs et source de gaité dans les fêtes, n’a pas toujours figuré de manière claire au registre des pratiques préjudiciables socialement. C’était plutôt à l’aune de la consommation des alcools, mise à l’index par le Coran et honnie par l’imam Malik, que la société jugeait l’individu ou le mettait à son ban. Mais au fil du temps, on va assister à une curieuse inversion culturelle, imperceptible au début, au bénéfice des vins et autres spiritueux. Dès lors faut-il plaider pour un « retour aux origines », en avançant que tant que les occidentaux n’arracheront pas leurs vignes, on ne détruira pas notre chanvre ? Ce n’est pas le but de ce texte, l’objectif étant d’introduire dans un débat qui risque d’être houleux quelques éléments d’aide à la réflexion. Mais il serait déjà bien de retenir que de la même manière qu’on peut produire avec les raisins de bons jus nutritifs, on peut faire avec le chanvre indien des produits utiles.

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