chroniques
Les Livres de l’amitié – Par Seddik Maaninou
De G à D : Abdelkader Retnani, Ahmed Herzenni et Mohamed Bendaddouch
Abdelkader Retnani, Ahmed Herzenni et Mohamed Bendaddouch. Trois amis, avec chacun, j'avais une relation distincte. Ensemble, et presque en même temps, ils nous ont quittés. Aucun de leurs parcours ne ressemble à l’autre, et tous avaient des centres d’intérêt différents. Ce qui me lie à l’un comme aux deux autres, ce sont des livres.
Abdelkader Retnani. Propriétaire de la Croisée des Croisées, une maison d’édition, il est considéré comme l'un des plus connus des éditeurs marocains. L'un des rares à avoir fait passer l’édition des livres d'un hobby à une industrie culturelle qui aspire à la connaissance et à l'ouverture sur l'autre. Il l’a aussi sorti de l’amateurisme pour en faire un métier à part entière. Pas plus tard que septembre dernier, il m'a rendu visite pour m’offrir l’une de ses dernières publications, un livre volumineux contenant des centaines de photos et de commentaires de l'équipe nationale de football lors de sa participation à la Coupe du Monde au Qatar. Sa passion pour ce nouveau projet se lisait visiblement dans ses yeux. Le livre s'intitulait "Qatar 2022, Le Temps Marocain". L’ouvrage qui appartenait à la qualité des Beaux livres, l’était effectivement et les photos étaient magnifiques. Il m'a demandé d’en traduire les textes en arabe... J'ai pressenti la difficulté d’une tâche qui exigeait plusieurs semaines de travail alors que son édition revêtait un caractère d'urgence... Je me suis excusé, il a souri, et est parti en exprimant son vœu de nous voir collaborer un jour...
Ahmed Herzenni. Je l’ai croisé pour la première fois ç travers le petit écran en suivant la diffusion des auditions des anciens détenus politiques qui apportaient leurs témoignages sur les souffrances entre torture et détention. Un bel instant de vérité, d’équité et de réconciliation. Ces ‘’dépositions publiques’’ ont été un moment historique de purification collective pour reconnaître les erreurs, fermer les blessures et tourner la page du passé. Ahmed Herzenni, ancien détenu politique qui a passé douze années derrière les barreaux, était l'un des fondateurs de cellules révolutionnaires, un courant de ce que l’on appelait la nouvelle gauche qui s’était choisi comme appellation Servir le peuple. Aucun regret, aucune lamentation dans son témoignage, seulement des constats : il a admis son implication dans l'organisation de la gauche en vue de la révolution pour changer l’ordre établi. « Nous avons travaillé à renverser le régime et avons suivi différentes voies pour cela, mais nous avons échoué et nous devons assumer la responsabilité de nos actions », a-t-il déclaré. Et même s’il a qualifié la réaction du pouvoir à l’égard de ce mouvement de disproportionnée, ses amis l’ont critiqué, d'autres l'ont attaqué. Il n’en est pas moins resté une voix courageuse et vibrante au milieu d’une marée d’accusations. Ahmed Herzenni a rassemblé son témoignage et les réactions dans un livre intitulé "Un Révolutionnaire dans la réforme" qu’il m’avait dédicacé et je lui ai offert mes ouvrages.
Mohamed Bendaddouch. Un nom qui résume quarante ans d’amitié et de vie professionnelle que nous avons partagée. C’était un journaliste très professionnel, un présentateur mesuré et une voix reconnaissable entre toutes. Quand les auditeurs entendaient sa voix, ils se taisaient et s'attendaient aux dernières nouvelles, souvent les plus graves. Il a travaillé comme directeur et rédacteur en chef de la radio. Mais il était bien plus que cela. Il a supervisé une école de radio grandeur nature qui a formé des dizaines de journalistes brillants. Il a quitté la radio dans des conditions difficiles et a vécu avec une blessure qui ne s'est jamais refermée. Je me souviens de ses appels téléphoniques nocturnes, dans un état de quasi dépression. Il a été ensuite muté à Laâyoune et a écrit des dizaines d’éditoriaux. J'ai plusieurs lettres écrites depuis le chef-lieu de Sakiat Alhamra, se plaignant de son oubli par la radio dont il a été l’un des fondateurs. Il a ensuite travaillé dans plusieurs cabinets ministériels et a voyagé à Djeddah en tant que conseiller auprès du président de l'Organisation islamique.
Au milieu de l’année en cours, il m'a offert son dernier livre intitulé "Voyage à travers la mémoire", et une semaine avant sa mort, nous avons parlé au téléphone, chez notre ami Yassine Alami des Editions Bouregreg. Au souvenir des moments qui ont émaillé notre travail à l'intérieur et à l'extérieur du pays, nous avons beaucoup ri.
Des moments partagés. Evanescents et réminiscents. C’est ce qui me restera de ces trois amis. Et des livres qui continueront, eux, longtemps à les faire vivre. Au revoir les artistes, je ne manquerai pas d’apporter avec moi mes nouveaux ouvrages et je vous les dédicacerai.