chroniques
Abdejlil Lahjomri : Lettre ouverte à mon ami Naïm Kamal
Abdejlil Lahjomri est, d’une certaine manière, un des fondateurs du Quid.ma. A l’instar, par ordre alphabétique, de Driss Ajbali, Khalil Hachimi Idrissi, Ahmed Herzenni et Noureddine Saïl. De leur présence sur ses colonnes, le site s’enorgueillit. Quand j’ai fondé le Quid, aventure incertaine de par son positionnement éditorial réfractaire au sensationnalisme et à la course effrénée derrière l’information, souvent invérifiée, bref allergique au buzz, c’est auprès de ces amis que j’ai trouvé le soutien moral et intellectuel pour me jeter dans une eau qui m’était il y a huit ans encore inconnue, la presse électronique. Entre temps, Abdejlil Lahjomri, qui a bien d’autres charges, a été nommé par le Souverain Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume. Il n’en a pas moins poursuivi son soutien, y compris matériel, au Quid. Mais voilà qu’un Covid, comme qui dirait un ange, est passé entre nous. Une divergence sur le sexe de cette maladie dont les dictionnaires, et nous avec, nous nous serions bien passés. Lui, l’Académie française ayant tranché pour le féminin, utilise, en académicien et en puriste, ce genre. Votre serviteur, je ne suis pas le seul, m’en tenant à la force de l’usage, préfère le masculin. Pas de quoi fouetter une mayonnaise. Seulement en présentant son art beau texte sur Léopold Sédar Senghor, histoire d’oublier « la Covid », je n’ai pas eu l’heur d’éviter ce que j’ai considéré comme une gentil pique en le qualifiant de « fils ainé de l’Académie Française », détournement sans effort de « la France, fille ainée de l’Eglise ». Ai-je poussé le bouchon trop loin ? Sans doute, si lui l’a ressenti ainsi. Sans doute encore que je n’ai pas pris toute la mesure de la connotation politique désastreuse de cette taquinerie facile. Ce qui me vaut cette lettre ouverte. Dois-je faire des excuses ? J’ai déjà eu à dire en présentant l’une de ses chroniques, que Abdejlil Lahjomri maitrise l’art d’enrober dans l’élégance du style les uppercuts les plus K.O-tisants. Cette lettre en est une autre démonstration(NK) :
Sensible à tes éloges quelque peu excessifs sur ma dextérité langagière, toi, dont l’habileté linguistique et surtout sémantique dans la langue de Molière est connue et admirée de tous, mais sincèrement étonné et réellement peiné par cette curieuse appellation de ‘fils ainé de l’Académie française, je revendique fermement le qualificatif de puriste. Non pas uniquement en ce qui concerne la langue française mais aussi la langue arabe, quelque peu malmenée par une numérisation galopante. Je pense bien évidemment à ce courant que des spécialises nomment l’Arabisi sur le mode Arabe easy.
La force de l’usage peut en effet l’emporter sur la force étymologique et la valeur scientifique des démonstrations académiques et l’emporte souvent, et c’est une bonne et merveilleuse chose. Cette force procure à toute langue sa saveur, son écume, nourrit son énergie et sa poésie. Mais cela ne doit en aucun cas priver le puriste, par exemple avec ce mot de Covid, d’une utilisation qui contrairement à ton affirmation ne le met pas dans son tord et surtout n’agresse en rien l’oreille des lecteurs ou interlocuteurs.
Profonde mais amicale divergence entre nous, dis-tu, parce que nous n’avons certainement pas la même attitude vis à vis de l’écrit. Quand je me hasarde à écrire, deux conseils de mes maitres s’imposent à moi. Le premier est de rechercher le mot juste, unique et irremplaçable. Et de le trouver et ce n’est pas facile, crois-moi. Il me semble pour avoir lu tout ce que beaucoup d’écrivains et de journalistes ont produit au cours de cette période de confinement que ce conseil que je me fais un devoir de respecter leur était inconnu (même de certains d’entre ceux qui ont officié dans ton site et furent, j’allais dire, accidentellement, mes voisins de palier). Ce qui les disculpe absolument et les autorise à user comme ils le veulent de la langue qu’ils utilisent. Ce qui ne me disculpe pas, quant à moi. Le deuxième est ‘ scripta manent, verba volent ‘, que l’on pourrait traduire par ‘ les écrits restent et le paroles s’envolent ‘ Et je préfère éviter une erreur et une faute qui s’inscrivent et durent dans le temps et laisser à ceux qui le souhaitent l’usage de celle qui comme tu dis peut être un outrage à l’oreille et s’envoler à l’instant de son élocution. Puis que le dictionnaire canadien offre les deux usages, que le genre du Covid est double ‘ masculin et féminin et que l’un d’entre eux répond à la démonstration de l’Académie Française, j’ai privilégié le genre féminin, en féministe convaincu que c’est la femme l’avenir de l’homme.
Dois-je préciser, en conclusion de cette mise au point , que je voudrai que tu acceptes ( publiée ou non ) comme témoignage d’une amitié et d’un respect profonds, si mes modestes connaissances linguistiques ne me trahissent pas que pour paludisme, choléra, rhume, cancer et diabète, la force de l’étymologie a correspondu heureusement avec la force de l’usage et que nous aurions été privés tous deux, en ces temps ou manquent les loisirs, de cet amusant et distrayant dialogue si le débat avait concerné uniquement ces substantifs, tous, du genre masculin.
Avec l’expression de mon amitié fidèle et vivante.