Rire pour vulgariser : les scientifiques montent sur scène

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De jour, Kasha Patel produit le plus sérieusement du monde des articles pour le site internet de la Nasa. Mais une fois la nuit tombée, la scientifique partage ses découvertes par un tout autre moyen : l'humour, sur scène. 

"Une partie de mon boulot est d'aider les gens à faire la différence entre les faits et les mythes", explique-t-elle, micro en main, face à un public dans un bar de Pennsylvanie, dans l'est des Etats-Unis. 

"Par exemple, vous pouvez très bien attraper la chlamydia (une maladie sexuellement transmissible) si un koala vous urine dessus, ça c'est un fait. Le mythe, c'est que votre femme puisse vous croire lorsque vous lui dites que c'est comme ça que vous l'avez attrapé".  

Kasha Patel a fondé le DC Science Comedy, un club de stand-up dans la capitale américaine où plusieurs chercheurs montent sur les planches pour défendre l'idée d'une science plus accessible grâce à l'humour.

Dans ses sketchs, la jeune femme de 28 ans suit une trame d'humour classique, raconte-t-elle à l'AFP, à l'image de comiques traditionnels avec blagues, répliques et anecdotes sur sa vie personnelle. 

"Il y a quelques années, SpaceX a lancé une fusée qui a explosé lorsqu'elle a quitté l'atmosphère. Mais la Nasa n'a pas qualifié le lancement d'échec. Ils ont parlé de lancement anormal. Je trouve ça bizarre parce que la semaine dernière, j'ai eu un rencard anormal. Ce n'était pas un échec, c'est juste qu'il ne s'est jamais pointé". 

Elle assure avoir beaucoup travaillé pour épouser l'absurdité nécessaire pour faire rire les gens sur scène, sans complètement se débarrasser de ses instincts d'intello : elle a récemment analysé les enregistrements de 500 de ses blagues pour voir lesquelles fonctionnaient le mieux.  

"J'ai donc découvert que mes blagues scientifiques marchaient 40% mieux que mes autres blagues ", décrypte-t-elle, précisant travailler sur un algorithme pour automatiser l'analyse.

Un lien avec le public 

"La science et la comédie ont beaucoup de choses en commun (...), il s'agit pour les deux disciplines d'établir des observations sur le monde et de les partager à un public", pointe Shannon Odell, doctorante à l'université de Cornell, à l'origine du spectacle "Drunk Science". 

Le concept est selon elle d'autant plus important à défendre que les scientifiques sont perçus aux Etats-Unis comme la deuxième communauté la plus digne de confiance, après les militaires et loin devant la presse, selon une récente étude du Pew Research Center. 

Même si tous ne sont pas capables d'enchaîner les blagues, "c'est super pour des scientifiques de sortir et de partager leur expertise, parce que ce sont eux les experts", pointe Mme Odell face à la résurgence de la désinformation et aux climato-sceptiques.

Bien qu'ils soient souvent financés par les contribuables, les travaux de scientifiques finissent par être présentés dans un jargon inaccessible, disponibles uniquement dans des conférences ou dans des revues spécialisées, créant ainsi l'espace nécessaire pour que la désinformation prenne vie. 

La chercheuse de 30 ans décline aussi son spectacle en vidéos sur YouTube, où, en bon cobaye, elle enchaîne les verres et les shots, entourée d'infographies ludiques, pour expliquer l'impact de la consommation d'alcool sur le cervelet, la partie du cerveau qui contrôle les mouvements. 

"Nous considérons la science comme une sorte de tour d'ivoire académique, mais il y a une valeur à la rendre divertissante, tant que vous ne perdez pas la précision scientifique", dit-elle.

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