Culture
Tangerine
Je cherchai une lecture d’été qui me distrairait un peu de ce que recommandait la critique littéraire... J’ai trouvé Tangerine, premier roman d’une jeune auteure américaine, Christine Mangan. La quatrième de couverture affirmant que c’était là ‘le roman d’une ville qui happe, illumine ou détruit, une Tanger, envoutante et sombre …’ je n’ai pas hésité un instant à me laisser envouter par une écriture simple, une intrigue et un suspens déroutants. Certes, le lecteur peut, dès les premiers chapitres, déceler la ligne rouge du récit et entrevoir le dénouement mais cela ne le condamne nullement à renoncer à une lecture, plaisante comme devraient l’être les lectures estivales.
C’est une histoire d’amour, de passion, et de meurtres, et surtout l’histoire d’une arnaque minutieusement maitrisée. Pourquoi me suis-je décidé à en faire une chronique ? Non pas, parce que pour un premier essai de cette auteure, ce fut un essai de maitre. Mais tout simplement parce que Tanger s’y révèle un personnage central, décisif, seul espace ou devait commencer et finir ce captivant récit.
Tout le monde sait que Tangerine est le nom d’un fruit. J’ignorai quant à moi qu’il pouvait désigner aussi une jeune fille se promenant à la découverte de Tanger , séduite par sa beauté, sa lumière flamboyante, ses mystères, son tumulte , ses hôtels populaires , ses bars ou cafés ‘exotiques’ comme le café HAFA , lieu où l’auteure imaginera et situera des scènes essentielles pour le déroulement de l’intrigue.
Tanger n’a jamais cessé de séduire peintres, écrivains, chanteurs (il me semble que Tangerine fut aussi le nom d’un groupe musical), d’être parfois la trame d’un récit. Dans celui-là elle en est la texture nourricière. Un simple exemple : Un personnage affirme que cette ville a de multiples noms, en particulier trois : Tanger, Tingi, Tang her. Et nous découvrons que l’un des personnages principaux du récit agira lui aussi sous trois noms : Lucy, Alice, et Sophie. Les protagonistes habitent Tanger mais c’est Tanger qui en réalité les habite. Ils vivent avec espoir et angoisse son moment historique ; l’indépendance de 1956 , absorbent son rythme , ses parfums , ses saveurs , ses couleurs , changent au gré de ses changements excitants ou inquiétants , et finissent par se convaincre que non seulement Tanger , mais tout le Maroc est leur Maroc et par vouloir ainsi pour l’un d’entre eux se’ l’approprier pour créer et écrire’ .
C’est le destin qu’ont eu des écrivains comme Paul Bowles, pour ne citer dans cette brève chronique que l’un des plus célèbres d’entre eux. Pour avoir très peu rencontré dans les récits récents concernant ou se situant au Maroc une appréciation qui hisserait Tanger et mon pays au rang de source d’inspiration littéraire et romanesque, ce roman me parait purger la conscience de beaucoup de lecteurs de stéréotypes et préjugés désastreux et nuisibles.
Une remarque atteste de la fraicheur du style d’écriture de cette auteure. La fréquence de l’emploi du mot ‘étrange’ est surprenante. Utilisé presque une page sur deux, parfois deux fois dans une page, exprimant l’étrangeté de l’intrigue, celle des situations, surtout l’étrangeté de la ville elle-même. Le lecteur attentif a le sentiment que ce mot échappe à l’écrivain et vit sa propre vie dans le récit, comme une parole sous-jacente à la parole apparente et lisible et qu’il surgit pour nous rappeler que si l’écrivain est maitre de son art il ne l’est pas des mythes qu’il porte en lui. Dans ce roman , le mythe de Tanger , qui n’a jamais quitté l’actualité littéraire , poétique et artistique diffuse sur cette ville une image à la fois ‘étrange’ et lumineuse .