Etudes islamiques : un département à bout de souffle - Par Bilal TALIDI

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Le ministre des Habous et des Affaires islamiques Ahmed Toufiq a livré une pertinente approche historique de l’enseignement des sciences religieuses et s’est attardé sur les considérations qui ont présidé à la création de cette section

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«Quel avenir pour le département des études islamiques ? »  L’intitulé de la conférence donnée par le ministre des Habous et des Affaires islamiques Ahmed Toufiq à la faculté des Lettres de l’Université Mohammed V de Rabat est tombée à point nommé pour provoquer un débat qui serait d’une grande utilité s’il réussit à mettre à l’ordre du jour le devenir de ce département. 

Ahmed Toufiq a posé nombre de questions profondes en latence depuis longtemps déjà, tant la crise de cette section, loin d’être récente, date de la genèse même de ce département.

L’erreur originelle

M. Toufiq a livré une pertinente approche historique de l’enseignement des sciences religieuses et s’est attardé sur les considérations qui ont présidé à la création de cette section, attribuées dans son approche à la montée du courant salafiste (islamiste). Il a également critiqué les raisons politiques qui ont sous-tendu la création de ce département en vue de contrecarrer la montée de la gauche au Maroc.

Ce constat a logiquement conduit M. Toufiq à trancher la question de  la reconstruction de ce département : Elle doit nécessairement s’affranchir au préalable des considérations politiques qui ont présidé à sa mise en place, en l’occurrence, sa subordination à un courant ou à des motivations politiques, pour privilégier en lieu et place le référentiel de la religiosité portée par les instruments scientifiques [nécessaires à sa compréhension] et la purification (tazkia), en rattachant l’ensemble au socle fondateur qu’incarne la Commanderie des croyants (Imarat Al mouminine).

Il ne s’agit pas de s’attarder longuement sur les conclusions de M. Toufiq tant l’homme est porté à peu près par les mêmes convictions qu’il a constamment prônées lorsqu’il a été question de modifier les programmes de l’éducation islamique, en vue, entre autres, d’y consacrer les constantes de la Oumma - particulièrement l’allégeance (Beiyâa) et la Commanderie des croyants, et d’y affirmer la centralité de la purification spirituelle.

Des débuts prometteurs

L’essentiel ici est de poser une série d’interrogations cognitives sur la situation de ce département, son bilan, et les directions qu’il a en définitive pris.

Au cours des premières années de sa création en 1981, le programme de ce département s’est consacré essentiellement à l’étude des principes de la charia islamique, tels les sciences du Coran, la tradition prophétique (hadith), la jurisprudence (fiqh), les finalités de la charia (Maqasside) et les diverses lectures du Coran, ainsi que les mouvements de réforme. 

La passerelle avec le département de la langue arabe se faisait à travers un tronc commun qui comporte la grammaire et la littérature arabe. En même temps le département des études islamiques, à l’exemple de son homologue de la littérature arabe, s’ouvrait sur les langues étrangères (anglais ou français), ainsi que sur les langues orientales (persan ou hébreu) à un moment où « l’islamisation du savoir» prônée par les fondateurs, tel Belbachir El Hassani, dictait d’établir des  ponts avec la psychologie et la sociologie, en recrutant des enseignants de ces disciplines proches de cette thèse. Enfin, au cours de ces dernières années, le département a fini par s’ouvrir sur la science comparative des religions.

Les dix premières années de ce département ont été marquées par un rayonnement considérable, grâce à des professeurs qui se sont illustrés dans leurs spécialités respectives, à l’instar de Mohamed Rougui (Fiqh), Ahmed Raissouni (finalités de la charia), Farouq Hamada (hadith), Thami Raji (sciences du Coran et des lectures), Ahmed Abouzaid (grammaire) et Ahmed Yessef (tradition prophétique), etc.

La nécessaire refonte

Cependant, les impératifs de la spécialisation ont fini par créer des ilots séparés les uns des autres au sein des études de la charia, en plus des ruptures exacerbées par des jeux de polarisation et de tensions entre les spécialités, les formations et les enseignants. Elles ont fini par reproduire le même conflit d’antan opposant foukahas (érudits) et mohadditines (experts de la sunna) ou encore ces derniers et Oulama’e al-kalam (savants de la doctrine).

Le fait est que la rigueur et le sérieux de professeurs émérites et les rapports de défi et de conflit avec la gauche ont favorisé la dissimulation des failles de ce département et lui ont insufflé un grand élan. Mais dès que ces « cache-misère » ont cessé d’exister, le département s’est retrouvé nu face à sa triste réalité, faisant de sa refonte totale une urgence impérieuse.

Nombre des détracteurs de ce département reprochaient aux lauréats de cette section leur faible rapport avec les sciences sociales et la prédominance des études de la charia dans leur formation, un reproche qui n’est pas sans fondement au vu de leur connaissance limitée de la philosophie, de la logique, des sciences sociales et des langues étrangères. Sauf que le problème est aujourd’hui bien plus profond, car la majorité de ces lauréats ont une formation limitée dans le cœur même de leur formation, n’ayant qu’une maitrise imparfaite des sciences de la charia et des outils fondamentaux qui leur permettraient d’appréhender ces sciences, comme la grammaire et la rhétorique en particulier.

L’errance

Le problème du département des études islamiques, on l’aura saisi, réside dans sa conception fondatrice. Convaincus de «l’islamisation du savoir», on croyait qu’il suffisait au futur lauréat d’accéder à des bribes dans des domaines comme la psychologie et la sociologie pour en connaître les arcanes et les subtilités qui lui permettraient d’en appréhender les contours selon un référentiel islamique. Tant et si bien que certains, sans connaissance, même moyenne, de ces sciences, de leurs méthodes et écoles, se sont amusés à écrire des livres sur «la sociologie islamique », ou encore « la psychologie islamique».

Résultat des courses : au lieu de contribuer à l’émancipation intellectuelle des lauréats dans leur appréhension des problèmes réels, l’effort déployé pour l’ouverture des esprits sur les sciences sociales s’est mué en une volonté de les tordre pour les soumettre au référentiel acquis dans les études antérieures de la charia. 

De même, l’effort considérable consenti en matière d’acquisition des langues étrangères s’est caricaturé en faisant des langues acquises un simple instrument de transmission du message missionnaire à l’autre dans son propre langage. Ce faisant, on a oublié jusqu’à la finalité de cette ouverture censée élargir les horizons de l’apprenant et mettre à sa disposition les outils qui lui faciliteraient l’accès aux dernières nouveautés des savoirs et des sciences écrites dans des langues étrangères pour consolider son propre savoir afin qu’il puisse mieux cerner l’environnement mondial dans lequel il évolue.

Une fois qu’on a compris la problématique de l’enseignement islamique et sa trame dans nos universités, il apparait clairement que c’est la méthode d’enseignement dans les études de la charia qui représente leur problème majeur. Au lieu de se concentrer sur la dimension épistémique, les questionnements qui l’ont occupée, les paradigmes qui les fondent, les ruptures cognitives que leur évolution a provoquées, et leurs dimensions méthodologiques et critiques, les études de la charia ont dévié de leur objectif principal pour ne plus être que des corpus momifiés que le lauréat se contente d’apprendre et de ressasser, sans aucune autre compétence d’inférence et d’induction.

 

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