Juifs d’Orient à l’IMA: c’est au Maroc que le vivre ensemble juifs et musulmans a le mieux fonctionné

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Synagogue Ibn Dannan (Ben Dahane) à Fès. Elle représente l’un des joyaux de la culture juive marocaine et l’une des plus importantes synagogues de l’Afrique du nord. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, la synagogue Ibn Danan fut récemment rénovée. Elle est ouverte à la visite depuis 2013 en tant que synagogue-musée.

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Quid avec agences

Pendant des siècles, des populations juives ont vécu dans le monde arabe aux côtés des musulmans, du Maroc à la Syrie, "une même histoire" que l'Institut du monde arabe (IMA) à Paris raconte à travers une vaste exposition. D'un million de personnes au début du XXe siècle, la population juive dans les pays arabo-musulmans est aujourd'hui de quelque 30.000, principalement au Maroc, en Turquie, Maroc et Iran.

Bayt Dakira : le Souverain immortalise la mémoire judéo-marocaine |  Challenge.ma

Le Roi Mohammed VI inaugurant en janvier 2020 Bayt Dakira à Essaouira

Intitulée "Juifs d'Orient, une histoire plurimillénaire" (du 24 novembre au 13 mars 2022), ce projet est le troisième volet d'une trilogie consacrée par l'IMA aux religions monothéistes, après "Hajj, le pèlerinage à la Mecque" en 2014 et "Chrétiens d'Orient, 2000 ans d'histoire" en 2017.

Le judaïsme marocain

Dans un article consacré à l’exposition, le quotidien français Le Monde indique que c’est sans doute au Maroc que le bien-vivre partagé par les deux communautés juive et arabe dont parle Abdelwahab Meddeb, a le mieux fonctionné. Particulièrement à Essaouira-Mogador, la ville blanche, baignée par la lumière de l’Atlantique ». Cette petite ville, relancée et développée par le Sultan alaouite sidi Mohammed Ben Abdellah, compta jusqu’à trente-sept synagogues pour 20 000 habitants dont 16 000 juifs.

« Pour entretenir cette mémoire, André Azoulay, conseiller du Roi Mohammed VI, de confession juive et dont la famille est à Essaouira depuis quatre générations », a travaillé pour refaire vivre la mémoire juive, notamment par la transformation d’une synagogue en pleine médina en Beyt Dakira, la Maison de la mémoire que le Roi Mohammed VI a supervisée et inauguré en personne en 2020. Comme son père, Hassan II, et son grand-père, Mohammed V, le Roi a un statut de protecteur de la communauté. Ces dernières années, il a permis la rénovation d’une vingtaine de synagogues et de plus de 14 000 tombes dans les cimetières juifs oubliés.  

De tout temps, des juifs ont occupé auprès des sultans marocains des postes de premier plan. Même si, comme le rappelle Le Monde « ce statut est différemment interprété selon les périodes et les souverains, les Juifs ayant subi de violentes attaques, notamment au Moyen-Age sous la dynastie des Almohades aux XIIe et XIIIe siècles, des intellectuels et des savants juifs, chefs de leurs communautés, occupent néanmoins des places clés à la cour des califes. »

Lire aussi : Exposition ''Les juifs d'Orient'' : Jack Lang appelle au sacre du Roi Mohammed V ''Juste parmi les Nations'' (Video)

Aujourd’hui, la Constitution marocaine reconnaît la part de son héritage hébraïque, et l’hébreu sera enseigné dans les écoles publiques dès l’année prochaine. Témoin de cette réappropriation d’une partie de la mémoire nationale, la bâtisse de Beyt Dakira d’Essaouira, restaurée avec sa synagogue possède son propre musée, un centre de recherche et une bibliothèque. A l’entrée, le visiteur est accueilli par la Bible et le Coran posés sur un même support, en un dialogue partagé.

Au pied de l’Atlas, à Fès, Meknès et Marrakech, dans les anciennes capitales du royaume, les quartiers juifs, ou mellahs, et les synagogues sont restaurés ou en cours de travaux, avec le financement de l’Etat. 

Donner des repères

Lors de l'inauguration de l'exposition lundi, Emmanuel Macron a loué une "formidable leçon" de "coexistence", "d'enrichissement mutuel" et "d'échanges entre les monothéismes".

"L'identité" est "toujours plus complexe qu'on le croit et se frotte à d'autres identités pour s'en nourrir", a souligné le chef de l'Etat en fustigeant les "obscurantismes" d'aujourd'hui comme d'hier.

"Juifs d'Orient..." veut montrer que "cette si longue histoire ne se réduit pas à une seule cause et à un seul conflit (israélo-palestinien), mais s'est installée dans une durée extraordinaire", dit Benjamin Stora, historien et commissaire général.

Il ne s'agit pas de réconcilier ceux qui pensent que la cohabitation entre juifs et musulmans "doit être seulement décrite comme un exemple d'harmonie et de convivialité" et ceux "qui la décrivent seulement comme une suite de conflits terribles, notamment après l'apparition de la civilisation islamique", écrit Benjamin Stora dans un éditorial consacré à l'exposition. Mais "de donner des repères" sans lesquels "le monde ne saurait être viable".

"Lorsqu'on interroge les vieux musulmans, ils disent tous « on était dans la même histoire ». Juifs et arabes ont ainsi parlé ensemble arabe, écrit l'arabe dans l'espace public et politique, et ça a duré dix siècles", souligne-t-il.

Vestiges archéologiques, manuscrits anciens, peintures, bijoux, costumes, objets rituels, photographies, musiques et installations audiovisuelles: 280 œuvres provenant de grands musées internationaux et français, évoquent la vie des populations juives du Maroc à l'Irak, de la Tunisie à la Syrie.*

Le "temps des exils"

L'exposition promène le visiteur de la Haute Antiquité à nos jours: des premiers liens entre les tribus juives de la péninsule arabique et le prophète Mohammed à l'essor des centres urbains juifs au Maghreb et dans l'empire ottoman; de l'émergence des principales figures de la pensée juive à Bagdad, Fès, le Caire, Cordoue et Safed à l'exil des juifs du monde arabe. Avec, comme fil rouge, l'attachement à une foi très ancienne.

Le parcours démarre avant l'ère chrétienne, lorsque pendant plus d'un millénaire les Hébreux vivent en Terre de Canaan. Avec les répressions romaines jusqu'au milieu du IIe siècle, la diaspora juive s'intensifie et les populations quittent Jérusalem, emportant avec elles les rouleaux de Torah. Galilée, Babylonie, Syrie et Egypte, d'une grande vitalité et diversité culturelle, sont alors leurs quatre grands foyers.

Du VIIe au XVe siècle, la majorité des populations juives vivent dans le monde musulman. Elles y adoptent la langue arabe, dans la multiplicité de ses dialectes, qui retranscrite en hébreu devient le "judéo-arabe".

Avec la conquête musulmane, juifs et chrétiens vivent sous le statut de "dhimmi", qui leur confère une position d'infériorité et de vulnérabilité tout en leur assurant une protection juridique ainsi qu'une relative autonomie administrative, fiscale et religieuse.

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